dimanche 19 décembre 2021

RAL n°136



2ème semestre 2021


LIEUX ET AUTRES LIEUX

Chercher le « vrai lieu », changer le monde en un « vrai lieu »,
quelle tâche ! Quelle espèce de folie !
Philippe Jaccottet

Les lieux particuliers où nous avons souhaité nous attarder et qui nous ont paru un instant à notre portée, à la manière d’un rêve qui nous traverse jusqu’à nous procurer une nouvelle sensation de l’espace, finissent par nous abandonner, naufragés sur le rivage d’une île lointaine. Dans ce corps à corps avec un nouvel horizon, alors que nous croyons épouser les contours de l’air qui nous entoure, devant un tel bouleversement, un dialogue commence. Ces lieux qui nous retiennent et nous rattachent à leur matérialité environnante, nous parlent à bas-bruit dans leur singularité et leur attrait, et font de ce dialogue une expérience incontournable. Comme à l’appel d’un « génie des lieux », nous répondons par une présence accrue à ce lien établi d’emblée avec l’espace qui nous entoure.

Chacun de ces lieux dans lesquels nous reconnaissons une part de nous-mêmes, est une promesse de signification, jusque dans son immédiateté. Le génie particulier de certains lieux que nous souhaitons célébrer, alimente au travers de notre existence qui s’en trouve amplifiée, l’attrait d’un ici que semble incarner une présence à laquelle on ne peut échapper. Mais il nous arrive parfois de succomber au mirage de l’ailleurs, cet inconnu qui serait au bout du chemin, tel un lieu soupçonné mais invisible, fruit d’un appel insistant à la beauté fugitive. Témoin d’un arrière-pays loin des perceptions ordinaires, il demeure un lieu dérobé et tout autant espéré pour le promeneur qui, un jour, découvre que derrière la colline qui barre l’horizon, un monde l’attend, lieu enchanté avec ses figures de rencontre que seule la passion peut susciter en lui.

Il est ainsi des lieux qui hésitent entre l’ici et l’ailleurs, entre la promesse d’un immédiat qui vient combler notre besoin de présence et la quête plus incertaine d’une parole qui résonne en écho et semble faire « monde », un monde qui surgit tout seul et vient nous surprendre. Identifié à une épiphanie, le lieu poétique est au carrefour de nos existences. La multitude des lieux qui nous environnent, du plus près au plus lointain, sont redevables de notre seule capacité à reconnaître leur obstination à exister, de l’herbe des talus à la vague qui lèche le pied des rochers.

Mais il arrive que le paysage se dérobe, à la manière de l’horizon que l’on croit toucher. Tel un chant que l’on ne saisit pas, la parole du lieu est toujours menacée de s’éteindre, et si les lieux s’accordent à la célébration, il faut se retirer pour en mesurer le prix, celui de l’éphémère. Nous sommes interrogés par le lieu lui-même, par son énigme qui demeure malgré tout et nous possède. À la fois offert et refusé, il ne saurait nous appartenir.

Ainsi se pose la question du lieu qui nous confronte à notre rêve d’un séjour à fleur de terre, alors que tant de chemins nous attendent : « Où est mon pays ? * » Aucune réponse ne saurait être définitive, même celle de la poésie. À la recherche des traces laissées en soi par le passé, elle est devenue lieu de passage, mouvement ouvert à l’entre-deux. L’hospitalité offerte au passant, « habiter » est alors le maître mot du poème.

* André Frénaud, Il n’y a pas de paradis, Poésie/Gallimard, 1967.
Alain Fabre-Catalan


Genius Loci - Parc de Pourtalès


L’AIR, DEHORS DEDANS
(Comment oublier le peu ?)


à Philippe Jaccottet


Ne pas voir cela du dehors. Ce ne peut être un spectacle,
c'est ce qui est réellement, vécu, traversé, le secret que l'on habite,
auquel on ne peut être extérieur. Quand on est dans le corps,
au cœur du monde – non plus un regard, même quand on regarde, 
le regard est pris dedans. Prisonnier, alors seulement
on vit, non pas quand on est détaché.

Philippe Jaccottet, La Semaison, carnets 1954-1979 

Dans la maison, ce soir, seul non seul, je note ces mots : ... et comme ces paysans... à qui je rendais visite la fin d'après-midi l'hiver et qui n'allumaient la lumière (coûteuse, mais aussi brutale, indiscrète) qu'au tout dernier instant, lorsqu'on ne voyait plus les yeux de celui qui vous parlait. Et qui souvent nous parlait de l'origine des mots.*

Il y a encore un peu d'air, un peu d'oubli, un peu de peu à habiter, un peu de lumière, d'ombre ou d'obscurité, une grammaire d'origine, resserrée au tout dernier instant du jour.

L'air est alors la vie silencieuse qui nous accorde au-dehors, resté proche, même si dehors il est le plus souvent absent à nos yeux, qui nous accorde au-dedans, à nos yeux, l'air doux ou cinglant, l'air est la vie invisible de la vie, l'air reste malgré tout au regard, l'air reste inouï au regard, trouée de lumière, d'ombre ou d'obscurité, insaisissable encore le traversant.

De jour, de nuit, d'une certaine joie, d'une certaine absence soudain, l'air nous reste... (le mot est illisible) ..., comme une question : que reste-t-il ?

Que nous reste-t-il ?

L'air du dehors. L'air du dehors reste au-dedans, comme un jour recommencé, comme une nuit recommencée. L'air reste, ici et là, malgré notre inattention à la lumière, l'ombre ou l'obscurité. L'air reste une trouée au bord de la maison, tout contre, et sur le chemin, à la lisière du chant, nos yeux cherchent l'air pour le toucher, même aveuglément, même éperdument. L'air nomme silencieusement la maison.

L'air est un, nu, dehors dedans. Il est à la lisière.
Le prendre. Mais comment sans pouvoir le toucher ?
L'air s'absente à nos yeux, sans être vraiment absent.
Comme l'oubli, comme le peu, il est un pays habitable avec peu de lumière, d'ombre ou d'obscurité.

Avec l'air, la maison est dehors dedans, traversée.

Nous nous replions, mais nous en revenons toujours à l'air. Qu'un peu d'air vienne à nous manquer, viendront à nous manquer la lumière, l'ombre ou l'obscurité, peut-être l'origine des mots dans la maison.

Valère Novarina
Jean Gabriel Cosculluela


Genius Loci - Parc de Pourtalès


lundi 22 novembre 2021

RAL n°136


Éditorial & Sommaire du numéro

à paraître en décembre 2021

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Dossier thématique

« Génie des lieux »


Kandinsky - Paysage avec pluie - 1913


ÉDITORIAL



Notre dossier PATRIMOINE est consacré à Maxime Alexandre (1899-1976) avec des contributions de Jean-Paul Sorg, Charles Fichter, Helmut Pillau et Freddy Raphaël.

La thématique retenue par le comité de rédaction, GÉNIE DES LIEUX, a suscité un large écho dont témoignent l’ampleur et la diversité des textes proposés. 

Les rubriques habituelles VOIX MULTIPLES, CHRONIQUES et NOTES DE LECTURE viennent compléter ce numéro. Notons les trois hommages rendus à Martin Graff, Peter Král et Friederike Mayröcker, récemment disparus.

Catherine Wackenheim-Jacobs nous offre cinq photographies originales : d’une part l’horloge du portail sud de la Cathédrale et la fontaine au jardin médiéval du Musée de l’Œuvre Notre-Dame, d’autre part trois photos de la sculpture Genius Loci de Giulio Paolini, installée au Parc de Pourtalès par le CEAAC.

Nous espérons que la situation sanitaire nous permettra d’organiser prochainement une Assemblée Générale et nous vous en communiquerons, dès que possible, la date. 

Nos remerciements les plus chaleureux vont à nos fidèles abonnés. Au seuil de l’année 2022, nous souhaitons à tous nos lecteurs et amis de belles fêtes et leur présentons nos meilleurs vœux.

Maryse Staiber & Marie-Thérèse Wackenheim

Le site internet dédié à la revue, créé par Alain Fabre-Catalan qui en assure l’administration, rend compte de notre actualité littéraire. Les auteurs y trouveront les informations utiles concernant les thèmes abordés dans les prochains numéros. Le dossier thématique du numéro 137 de juin 2022 s’intitulera MARGES.


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SOMMAIRE


ÉDITORIAL    

Catherine Wackenheim-Jacobs : Horloge du portail sud de la Cathédrale

PATRIMOINE 
Jean-Paul Sorg : Maxime Alexandre. Rapports compliqués avec Strasbourg   
Charles Fichter : Le « chant du destin » de Maxime Alexandre
Helmut Pillau : Leben allein durch die Gerechtigkeit.
Zu dem Drama Le Juif errant von Maxime Alexandre
Freddy Raphaël : Maxime Alexandre et le judaïsme alsacien

Catherine Wackenheim-Jacobs : Genius Loci au Parc de Pourtalès

GÉNIE DES LIEUX
Alain Fabre-Catalan : Lieux et autres lieux
Jean Gabriel Cosculluela : L’air, dehors dedans
Isabelle Lévesque : Que cours-tu, invisible ?
Gabriel Grossi : Lachens. Sentier des douaniers. Mercantour
Emma Guntz : Das gewisse Etwas
Max Alhau : Parcours sans suite
Michèle Finck : Trouvilles-les-marées
Maryse Staiber : Vergol. Barret-de-Lioure
Sarah Françoise Ayache : Horizons
Alain Fabre-Catalan : Paroles en approche
Eva-Maria Berg : orte für worte
Karim De Broucker : Rues
Florence Saint-Roch : Les Bonnettes
Victor Saudan : Schönthal – énigme
Wendelinus Wurth : genius loci. Im Paradiis
Marie-Christine Masset : La naissance d’une île. Vol sans fin.
The sounds of night
Roland Goeller : Berlin
Peter H. Gogolin : Ombre di Venezia
Yves Rudio : Geischterkàmpf
Jean-Claude Walter : À Strasbourg – Strossburi
René Heyer : Un lieu à l’orient
Pierre Judide : Arda Arda Harzarda Ardageischt

Martine Blanché : Une chaleur de cendre saisit la peau. Dans la vigne plus
proche du ciel que la rose. Déambuler léger
Marie-Yvonne Munch : Se logent dans le tapis les poussières
Laurence Muller : Arrivés là, ils aboyaient, avaient peur de tout
Arnoldo Feuer : L’haleine du dragon
Daniel Martinez : Les limites heureuses
Anne-Marie Zucchelli : Présence géographique
Claude Vancour : Cimetière juif (Moravie). Šumava / Forêt de Bohème

Catherine Wackenheim-Jacobs : Genius Loci vu de face

VOIX MULTIPLES
Pierre Zehnacker : Le chagrin d’Icare. D’aimer. Voix de l’enfant.
Dis-moi, mon ombre. La promesse
Emma Guntz : „Das liebe Brot“
Markus Manfred Jung : Corona. nebenenand
Jean-Claude Walter : Dispose tes proses
Claude Vancour : Poèmes masqués. Poèmes du Covid : après les masques 
Gerda Mucker-Frimmel : Sonne in der Großstadt. Ohne Titel
Joseph Pommier : Nuit sans rêve
Claudia Scherer : Zichtle ist Geschichte
Jean-Christophe Meyer : loss de Stën rossle
Andrea Moorhead : Trésors. Invocation. Légende de la sœur perdue
Jean-Paul Sorg : Veegalawohl / Jubilation dans le cerisier
Michael Benaglio : Gezeiten Wanderer. Regenlied. Schicksalsbaum
 
Catherine Wackenheim-Jacobs : Genius Loci vu de profil

CHRONIQUES
Vincent Wackenheim : Une exposition : la collection d’illustrations
du Musée Tomi Ungerer
Jean-Paul Sorg : Applaudissements pour Martin Graff
Jacques Goorma : Hommage à Peter Král
Françoise Knopper : Alexander Kluge, Napoléon
Emma Guntz : Friederike Mayröcker – ein Nachruf
Marie-Yvonne Munch : Yan Pei Ming au Musée Unterlinden

Catherine Wackenheim-Jacobs : Jardin médiéval de l’Œuvre Notre-Dame 

NOTES DE LECTURE


samedi 10 juillet 2021

RAL N°135


1er semestre 2021


Hommage à Claude Vigée

Dossier thématique

« Horizons »


Theresia SCHÜLLNER : Schriftstele I


Theresia SCHÜLLNER : Schriftstele III


* * *


ENTRE LA TERRE OBSCURE


Entre la terre obscure
et la haute clarté
du ciel,


le silence du bel été
de chaque côté se balance :


une seule abeille capture
le miel
de leur double murmure


Claude Vigée

Délivrance du Souffle - Flammarion 1977



PAR LÀ-BAS, QUELQUE PART
i.m. Evy


Sous l’horizon glacé des bouleaux et des hêtres
chemin pierreux du jour
sentiers en velours de la nuit
te rejoignent peut-être
déjà nulle part, dans le vide :
perdus à l’autre bout du Ried,
dans ton noir infini.


Claude Vigée 

Soir du 19 avril 2009, Hasensprung en Alsace


jeudi 27 mai 2021

RAL N°135


Éditorial & Sommaire du numéro

à paraître en juin 2021

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Hommage à Claude Vigée

Dossier thématique

« Horizons »


Zao Wou Ki - Ciel - 2004


ÉDITORIAL


Dans ce numéro, notre rubrique PATRIMOINE rend hommage à Claude Vigée (1921-2020) avec des textes réunis par Michèle Finck et Maryse Staiber. Les nombreuses contributions prennent les formes les plus diverses : tantôt elles proposent des études de l’œuvre de Vigée, tantôt elles témoignent de l’homme et de l’œuvre ou évoquent des souvenirs. D’autres auteurs ont choisi d’offrir des textes de création inédits, tous en libre résonance.

Pour accompagner notre hommage, nous publions dix photographies inédites dont cinq ont été réalisées par Claude Vigée lors de ses séjours en Alsace au cours de l’été 1953. Alfred Dott, ami proche de Claude Vigée, est l’auteur des cinq autres. Qu’il en soit chaleureusement remercié.

Parmi les nombreux travaux réalisés à partir de manuscrits de Claude Vigée par Theresia Schüllner, une artiste plasticienne de Düsseldorf, nous en avons retenu quatre qui rythment l’ensemble.

Étant donné l’ampleur de l’hommage, ce numéro ne comporte que le dossier thématique HORIZONS et les NOTES DE LECTURE.

Il va sans dire que le numéro 136 de décembre 2021 reprendra tous les volets habituels de notre publication.

Nous vous souhaitons de passer un bel été, aussi serein que possible dans le contexte actuel. Nous espérons sincèrement être en mesure d’envisager dès que possible l’organisation d’une Assemblée Générale.

Maryse Staiber & Marie-Thérèse Wackenheim


Le site internet dédié à la revue, créé par Alain Fabre-Catalan qui en assure l’administration, rend compte de notre actualité littéraire. Les auteurs y trouveront les informations utiles concernant les thèmes abordés dans les prochains numéros. Le dossier thématique du numéro 136 de décembre 2021 s’intitulera GÉNIE DES LIEUX.


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SOMMAIRE


ÉDITORIAL

Theresia Schüllner : Schriftstele I    


PATRIMOINE : HOMMAGE À CLAUDE VIGÉE

Michèle Finck : Claude Vigée, le grand vivant : méditation autour

        du mot « vie » dans l’œuvre de Vigée    

Jean-Yves Masson : Tombeau de Claude Vigée   

Freddy Raphaël : Pour Claude, ces mots et cette mélodie (« nigoun »)

        que nous eûmes en partage   

Gabrielle Althen : Visitation   

Claire Hendrickx : L’école biblique de Bischwiller   

Jean-Michel Maulpoix : J’ai attendu la neige   

Aude Préta de Beaufort : Pour Claude Vigée : « le souffle errant de l’origine »

Jean-Paul Sorg : Les déambulations de Claude Strauss à dix-sept ans

        avec Maxime Alexandre, rue de la Mésange   

Claudine Helft : En hommage à Claude Vigée   

Charles Fichter : Vigée, poète de la Résistance   

François Lallier : Une arche de hasard   

Patrick Werly : Une expérience de lecture   

Yves Leclair : Lignes de myrrhe  

Irène Gayraud : Tout le paysage un peu renard  

Olivier Kachler : Ce cœur était le tien cratère  

Helmut Pillau : Versuch über den Trotz bei Claude Vigée  

Alain Fabre-Catalan : Dizains pour Claude Vigée  

Anthony Rudolf : En attendant la fin : le centenaire de Claude Vigée

        (traduction : Maryse Staiber)   

Laurence Breysse-Chanet : Le flot de mots rouges

Isabelle Raviolo : La splendeur du précaire

Liliana Orlowska : Souvenirs d’une première rencontre avec la poésie

        de Claude Vigée

Theresia Schüllner : Schriftstele II


Sébastien Labrusse : Un seul brin d’herbe

Alfred Dott : Ma rencontre avec Claude Vigée

Maryse Staiber : Wind, Kindheit (traduction : Claude Vigée)

Patrick Quillier : L’oreille éveillée par Claude Vigée

Michèle Finck : Sous le Rhin

Notices bio-bibliographies des contributeurs


Theresia Schüllner : Schriftstele III


HORIZONS

Anne-Lise Blanchard : Ciel sans compassion

Alain Fabre-Catalan : Lignes de fuite

André Ughetto : Horizons de mes enfances, horizon des événements

Emma Guntz : horizont

Françoise Urbain-Menninger : Les vignes de grand-père. 

        Ce soir le ciel est rose. Corbeille de fruits mûrs

Markus Manfred Jung : Corona. nebenenand. Missverständnis

Wendelinus Wurth : in de weltgschiicht rumtriiwe. Sisyphus

Eva-Maria Berg : horizont

Alexandre Burger-Bach : Que caches-tu donc sous ce sombre manteau ?

Richard Roos-Weil : Notes oubliées

Pierre Judide : D’horizon en horizon jusqu’au cœur du monde

Sophie Weill : Horizons lointains de temps anciens

Daniel Martinez : Traversée

Pierre Zehnacker : Ceux de quatorze. Comme un arbre.

        Des oiseaux et des songes. J’ai vu la mer

Karlheinz Kluge : Sonntag, 21. Januar 1945

Mathieu Hilfiger : Les fleurs chimériques

Victor Saudan : Centovalli

Yves Rudio : E Ziel odder e Grenz

Marie-Yvonne Munch : L’horizon s’étire

Daniel Zahno : Die Flamme. Der Korken. Kräuter

Arnoldo Feuer : Stage Harbor Lighthouse

Kza Han : Rayon d’horizon

Denis Leypold : Papier sur mer

Frédérique Laurent : À l’infini des horizons marins

Jutta v. Ochsenstein-Nick : Wortreich. Wandeln. Am Drehkreuz

Max Ahlau : Territoires

João Botelho : Chez mes grands-parents. Le jardin

Laurent Bayart : Ma terre en habits de lumière. Un printemps

        qui vous fait foi… dans le dos

Claude Vancour : Bischheim. Chemin-paix.  Quand les yeux tâtonnent.

        Langue, seconde devenue


Theresia Schüllner : Schriftstele IV

NOTES DE LECTURE


mardi 2 février 2021

RAL n°134


2ème semestre 2020

 
RÉSONANCE TU ÉNONCERAS

Le poème est le chuchotement d’un cri. L’ébruitement d’un secret. Au fond de lui, chantent les sirènes du silence. Il arrache l’invisible bâillon jeté sur le monde et donne la parole à l’indicible. Sa parole est allégée de toutes celles qu’il a effacées, mais augmentée de toutes celles auxquelles il a dû renoncer. Écrire un poème, c’est se taire davantage pour mieux dire. Alors il vient, chargé à bloc. Prêt à transmettre sa décharge. En lui, la parole tait plus qu’elle ne dit et elle agrandit le silence de sa résonance.

Le mot, sa profération, son intime résonance. Une prise éprise de son emprise. Écrire est un moyen d’entrer en résonance. Mot que l’on fredonne ou qui résonne, mais qui soudain nous éveille en plein rêve et nous dépose au milieu du ciel. Chaque mot doit s’effacer, céder la place au suivant pour résonner encore dans le corps qui le suit.

Pouvoir parler sans faire vibrer la voix. Être entendu, sans résonner dans une oreille. Tel est le prodige de l’écriture. Et son énigme. Au-delà du son parle une autre voix. C’est elle que je m’efforce d’entendre. La voix silencieuse de l’intime d’où naissent tous les chants. Cette voix n’est la voix de personne, mais elle le sait. C’est pourquoi elle peut devenir ma voix ou bien la tienne. La parole qui par écrit s’énonce invente une voix qui la prononce.

De nombreuses vies furent hantées et abîmées par le fardeau de quelques paroles, mais la vertu de quelques-unes en a également soutenu et éclairé bien d’autres. Le poids d’une parole. L’une brise, l’autre forge. L’une blesse, l’autre soigne. Prière ou malédiction. Promesse vivante ou arrêt de mort. Celle dont le plomb nous empoisonne et résonne encore dans cette chambre lointaine. Celle dont on voudrait se défaire, mais qui nous colle à l’âme. Celle qui allège et soulage. Celle qui soulève et se propage. Celle que l’on frotte entre les doigts pour en capturer l’effluve avant de la jeter comme un brin de lavande. Celle dont l’aile vibrante traverse le ciel d’un instant et nous indique la direction à suivre et celle, décisive, qui nous engage. Selon la balance, les mots ne pèsent rien ou sont plus lourds que le monde.  

N’être rien d’autre que ce jour limpide où résonne le chant du merle, où se balancent les branches du saule et glissent, sur l’aile du vent, tels d’infimes nuages ou des flocons de plumets, les fines aigrettes de pissenlits.

L’évidence rayonne en silence. Elle semble presque se moquer de nos tentatives, nos prétentions, nos aveuglements, nos tâtonnements. Elle paraît sourire de notre maladresse à la saisir ou simplement à l’accueillir. Elle rayonne en silence. 

La parole surgit et prend mille formes. Parfois une simple flèche vibre dans l’air. Parfois un long détour rend plus propice la clairière. 

Plus tard, on revient vers ces mots jetés en grande hâte, en vive conscience. Il se peut alors que l’on se trouve désemparé comme devant les membres disjoints d’un corps à rassembler pour lui redonner vie. Un long travail nous attend pour tenter de restituer et livrer ce qui nous fut donné en un instant.

Nommer. La pierre et le bois. La lumière et le son. Sentir. La lave et la sève. La chaleur et le sang. Ouvrir la grande armoire de silence où les mots rêvent qu’ils résonnent.

Un mot brusquement se détourne de la foule de ses semblables et vient vers nous, la main tendue.


P.S. Convenons-en, le concept de résonance redevient à la mode, son sens ne cesse d’étendre sa polysémie allant par analogie de la résonance acoustique à la résonance psychologique ou à la résonance magnétique nucléaire, sans parler de l’harmonie des sphères. Le mot lui-même résonne de sa propre résonance. Il fait vibrer l’air, le son, la voix, mais aussi l’esprit ou le cœur. Retentissement d’une cloche ou d’un événement vécu.

Retourner la résonance c’est deviner que l’écho précède la voix. Résonance de l’invisible dans le visible, du silence dans le mot, de la nuit dans la clarté. Les textes qui suivent nous invitent à vivre en résonance, car raisonner ne suffit pas.

Jacques Goorma


Sonia Delaunay - Prismes 1914