dimanche 15 janvier 2017

RAL n°126


2ème semestre 2016
LA PART DES RÊVES

Là où je rêve, cela veille.
Maurice Blanchot

Le rêve et la littérature entretiennent des liens depuis longtemps. Du romantisme allemand au fantastique, prenant en compte la part onirique de la vie, une voie nouvelle s’ouvre qui ne se contente pas d’approcher ce qui est mais ce qui pourrait être, à la recherche d’une autre perception de la réalité et de ses métamorphoses. Donner droit au travail du rêve dans la création poétique, devient alors une manière d’aller plus loin dans la dépossession du poète et un moyen de court-circuiter ses habitudes mentales. S’il recèle toujours en lui la source vivante de la création, à l’égal de tout autre, il n’est plus un être d’exception. Les surréalistes, André Breton, Robert Desnos et Paul Éluard vont creuser cette veine, à la suite de Lautréamont qui leur offre dans ses Chants une des clés pour l’invention de ces images les plus étranges sensées jaillir de l’inconscient, en décrivant un des mécanismes secrets du rêve dans « la rencontre fortuite, sur une table de dissection, de la machine à coudre et du parapluie ». Par le rapprochement de termes pourtant très éloignés, il s’agit de saisir l’improbable dans le surgissement d’une réalité chimérique au caractère bouleversant. À travers l’expérience surréaliste du langage, se dessine à grands traits par le biais de l’image un autre regard, une autre façon de voir le monde, avec le sens aiguisé de la trouvaille et de la coïncidence. Cette poétique « suprêmement attentive » selon les mots d’Yves Bonnefoy sera la marque personnelle d’André Breton sur la poésie au XXème siècle. 

L’attention portée à la réalité concrète et immédiate des choses dans la mesure où elle vise à rejeter dans l’ombre tout ce qui ne la concerne pas, trouve sans doute ses racines dans la force négative par laquelle le rêve nous retient dans ses filets, et pour un temps nous contraint à oublier tout le reste, comme le dormeur emporté dans son sommeil finit par oublier qu’il est en train de dormir. Il ne faut donc pas confondre « le rêve » et « la rêverie » car ce serait perdre de vue ce que le rêve a de singulier et de spécifique avec cette sorte de dessaisissement qu’il provoque chez le rêveur en le plongeant dans un monde où il n’est pas complètement lui-même, où il finit par découvrir comme l’écrit Nerval avec cette étonnante formule que « Je suis l’autre ». Si la vie du jour et celle de la nuit nous apparaissent distinctes, il y a cependant de la lumière qui filtre sous la porte qui sépare ces deux mondes.

Dans la manière dont nous considérons le rêve, quelque chose se révèle de ce qui est notre véritable rapport au monde, qui ne peut se réduire à un simple rapport d’extériorité mais avant tout à une relation dans laquelle « je suis regardé » en même temps que « je regarde » dans le miroir de la vie nocturne. De même que l’intérêt pour la nuit chez Novalis, l’intérêt pour le rêve et les premières expérimentations d’une littérature fantastique chez Hoffmann, traduisent cette nouvelle capacité pour la littérature d’inventer des mondes. L’attrait pour ces fantasmagories et ces chimères est parent de l’intérêt qui s’est manifesté à l’époque surréaliste et dans l’œuvre de Freud.

Dès son apparition, le mot « rêve » se situe du côté du délire. À l’origine, le rêve est de la divagation, du vagabondage, tandis que le songe relève du sommeil, c’est ainsi que ce dernier est suggéré par l’abandon, tandis que l’autre appartient au mouvement et au désordre. Longtemps l’aspect égarant du rêve l’assimile à l’idée de perte de sens jusqu’à ce que se dégage au fil du temps une représentation plus novatrice avec l’entrée en scène de l’imagination, « imaginer, voir comme dans un rêve ». Par cette mise à distance, ce dédoublement de la perception, le rêve devient matière à réflexion, ainsi apparaît un nouveau chemin pour la pensée créatrice.

Ouvrir la porte au rêve, c’est livrer la parole à la turbulence des mots qui, l’espace d’un éclair, se répondent pour créer des images inattendues, faisant naître de l’inédit, dessinant une autre vision du monde par l’exploration de tout ce que nous négligeons habituellement. Avec cette part faite aux rêves, sous cette étoffe secrète qui abrite nos nuits, se nouent et se dénouent des liens entre le visible et l’invisible, dans cette « forêt de symboles » qu’il faut sans cesse éclairer, peut-être pour mieux y découvrir sa route. À la lumière crue des rêves, se dévoile la tapisserie cachée de nos vies, cette toile sur laquelle apparaissent en filigrane les lueurs vacillantes d’un feu qu’attise le sommeil. Ainsi se découvre par bribes la nudité des choses qui nous environnent et qui étaient là sous nos yeux sans que nous y prenions garde : les objets, les signes et les lieux, tout un monde à la « familière étrangeté » qui se recompose à l’infini comme pour renaître dans le creuset du rêve.

Alain Fabre-Catalan

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ÉDITORIAL


À l’occasion du 500e anniversaire de la Réforme, nous consacrons le dossier PATRIMOINE de ce numéro à quelques aspects de la Réforme en Alsace. Nos remerciements vont tout particulièrement à Marc Lienhard qui nous propose deux contributions inédites, dont l’une sur L’humour protestant en Alsace. Grâce au concours de Jérôme Schweitzer, nous permettons par ailleurs à nos lecteurs de découvrir deux lettres manuscrites d’acteurs majeurs de la Réforme en Alsace : Martin Bucer et Jean Sturm.

Le volet thématique RÊVES explore et renouvelle, sous de multiples angles et perspectives, les liens entre rêve et littérature. Comme le remarque Alain Fabre-Catalan dans sa présentation, le rêve apporte une « mise à distance, ce dédoublement de la perception » et devient « matière à réflexion » ouvrant « un nouveau chemin pour la pensée créatrice ».

VOIX MULTIPLES, CHRONIQUES et NOTES DE LECTURE viennent compléter ce numéro. Une nouvelle rubrique, CHRONIQUE DES ARTS, présente l’ouvrage de Vincent Wackenheim sur J. K. Sattler, ainsi que le Musée Tomi Ungerer. Par ailleurs, une chronique prolonge le volet patrimonial. Comme toujours, la rédaction veille à alterner les langues et les genres, fidèle en cela à l’esprit des membres fondateurs.

Pour rythmer ce numéro, cinq photographies de Denis Leypold ponctuent les différentes sections. S’y ajoute La Danseuse, une photographie de Laurent Waechter qui accompagne un poème de Véronique Grenier.

Nous vous souhaitons de très belles fêtes de Noël et vous présentons nos vœux chaleureux pour la Nouvelle Année.

Maryse Staiber & Marie-Thérèse Wackenheim

Le site internet dédié à la revue, créé par Alain Fabre-Catalan qui en assure l’administration, rend compte de notre actualité littéraire. Les auteurs y trouveront les informations utiles concernant les thèmes abordés dans les prochains numéros. Le dossier thématique du numéro 127 de Juin 2017 s’intitulera LE TEMPS.