2ème semestre 2014 |
LA
REVUE, UNE UTOPIE ?
Utopies, un mot qui suscite la méfiance aujourd’hui, qui
évoque un ailleurs resplendissant, artificiel, déjà mort. Pourtant l’utopie est
plus simple que ces grandes constructions. Une revue est une utopie ou devrait
y tendre. N’est-ce pas un lieu où cohabiter, dialoguer, faire silence parfois,
avant de revenir dans la conversation ? Un lieu au territoire sciemment
mal délimité, donc accueillant aux marges, où l’on trouve toujours un passage,
quelqu’un avec qui s’entretenir ? Ni phalanstère ni appartement
communautaire, n’est-ce pas une maison où se retrouver librement pour proposer
quelques mots qui seront écoutés et pesés avec ceux des autres ? Un lieu à
partir duquel rassembler quelques consciences œuvrant à se rapprocher, pour
mieux se connaître, clarifier leurs rapports ? En somme, un lieu propice à
la tâche de la poésie moderne. La revue permet d’essayer ce qui est encore trop
fragile pour tenir sous la lourde couverture du Livre. Elle est en avant,
travaille dans le possible : un lieu mais aussi une utopie, une absence de
lieu car cette tâche n’est pas localisable, ne sera jamais achevée.
On peut penser que
les utopies ont fait assez de dégâts au XXème siècle et que la sagesse est de se contenter de ce qui est et de l’être humain
tel qu’il est plutôt que de vouloir changer sa façon d’être et de vivre. Et il
suffit d’ouvrir un livre d’histoire pour en convenir, bien sûr. Mais il suffit
aussi de regarder nos vies pour voir que nous sommes loin de pouvoir jouir
simplement de ce qui est. Nous essayons de nous faufiler librement entre
diverses injonctions et obligations : à être efficace, à communiquer, à
consommer, à produire, à nous informer, à être nous-mêmes, à réaliser un
projet, etc. Navigation périlleuse, où Circé nous tend les bras – et nous avons
donc toujours besoin de penser à ce qui n’est pas, pas encore, à ce qui n’a pas
de lieu, à l’utopie, et d’en parler à d’autres pour le consolider. L’utopie est
une Ithaque de l’avenir, pas de l’origine.
Lors d’une réunion préparatoire pour
ce numéro, la question s’est posée à plusieurs reprises de savoir qui avait
proposé ce thème dans les mois précédents. Mais ce n’était personne en
particulier, le sujet était arrivé dans la conversation, à un moment donné puis
oublié. Vertu de l’oubli, de l’évidence impersonnelle, garants que l’utopie n’a
pas fini d’avoir du sens.
Patrick Werly
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ÉDITORIAL
Le volet PATRIMOINE de ce numéro est consacré à Ernst Stadler, poète
mort sur le front en août 1914. À l’occasion de la commémoration de la Première
Guerre mondiale et de l’exposition « 1914, la mort des poètes » pour
la réouverture de la Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg
(BNUS), nous republions, sous forme de texte scanné, de larges extraits de
l’essai d’Ernst Stadler sur René Schickele et « l’Alsace de
l’esprit » (« geistiges
Elsässertum »), paru en 1913 dans l’Almanach pour les étudiants et la jeunesse de l’Alsace-Lorraine. Une traduction d es chapitres I-VI permet aux lecteurs francophones de découvrir ces pages majeures pour la compréhension du mouvement de renouveau et de l’idée de la mission médiatrice d’une Alsace de la « double culture » (« Doppelkultur ») en ce début du XXème siècle.
Notre dossier aborde
le thème UTOPIES sous de multiples angles et perspectives, en veillant à alterner
les langues et les genres. Comme le suggère la présentation de Patrick Werly,
nous formulons l’idée que, de nos jours, une revue littéraire est une sorte
d’utopie.
VOIX MULTIPLES,
CHRONIQUES et NOTES DE LECTURE constituent nos rubriques habituelles. Relevons
que nos chroniques prolongent et approfondissent le volet patrimonial. L’ensemble des
contributions de ce numéro augmenté à 152 pages témoigne de la richesse de la
vie littéraire ici et ailleurs.
Pour rythmer ces
pages, Lucia Reyes a créé cinq encres originales autour du thème de l’utopie.
Nous vous souhaitons
de très belles fêtes de Noël et vous présentons nos vœux les plus chaleureux
pour la Nouvelle Année.
Maryse Staiber et Marie-Thérèse Wackenheim