1er semestre 2016 |
L’OMBRE DU MYSTÈRE
Toutes les choses ont leur mystère,
et la poésie, c'est le mystère de toutes les choses.
Federico Garcia Lorca
Mystère des origines, mystère des aubergines. Mystère des lettres et des nombres, mystère du langage. Mystère de la vie, mystère de l’amour, mystère de la mort. Mystère du sommeil, mystère du rêve et de l’éveil. Mystère de la présence, mystère de la conscience. Mystère de l’initiation, mystère de l’incarnation. Mystère de l’inconnu, de l’infini, de l’univers. Mystère de la beauté, mystère même de la lumière.
Mystère.
Quelle force étrange possède ce vocable de pouvoir ainsi s’accoupler avec tous
les mots et jeter sur eux son voile d’inconnaissance ? En vérité, il
serait plus court de savoir ce qui échappe au mystère. Est-il une chose qui se
dérobe à son emprise ? Même la vérité est un mystère et le mystère, la
plus fameuse évidence. Littérature et mystère ont partie liée depuis bien longtemps. Depuis l’Hymne homérique à Déméter, seule trace des mystères d’Éleusis, aux pièces dramatiques mettant en scène le merveilleux surnaturel des Mystères du Moyen-Âge. S’il apparaît d’abord au pluriel dans le registre du sacré puis du religieux, il poursuivra également un chemin étonnamment fertile dans la littérature profane. Peu de domaines littéraires échappent à son attrait. Le roman social, Les Mystères de Paris, ou policier, Le Mystère de la chambre jaune, et d’innombrables romans d’aventure ou romans noirs, mais aussi la littérature ésotérique, Le Mystère des cathédrales, ou de vulgarisation scientifique, Les mystères de la science, utilisent sa force d’attraction pour éveiller notre curiosité et défier notre intelligence.
Ce mot surprenant peut encore susciter l’intérêt, l’adhésion, la fascination autant que l’indifférence, le rejet, la suspicion devant ce qui semble contredire la raison. Il peut nous incliner à l’humilité devant ce qui nous dépasse autant qu’au refus de ce qui semble au-dessus de la raison.
Le mystère suppose un secret ; le secret, une clé. « J’aime passionnément le mystère, parce que j’ai toujours l’espoir de le débrouiller », écrit Baudelaire. Et c’est au cœur de la poésie et de la plus haute littérature que palpitent « ces mystères qui n’ont probablement leur explication que dans d’autres mondes et dont le pressentiment est ce qui nous émeut le plus dans la vie et dans l’art » (Proust, Le temps retrouvé).
Les textes assemblés ici attestent que ce mot n’a rien perdu de sa force singulière à travers la diversité de ses multiples déclinaisons. Le mystère est une lumière, il répand son silence et jette son ombre sur tous les mots. Et cette ombre est peut-être une porte.
Jacques Goorma
__________________________________
__________________________________
ÉDITORIAL
Ce numéro d’été consacre le dossier Patrimoine
à un choix de pages extraites d’une œuvre de René Schickele, Himmlische Landschaft, parue en 1933
chez S. Fischer à Francfort, que nous présentons ici dans la traduction
française d’Irène Kuhn et de Maryse Staiber (Arfuyen, 2010). L’auteur alsacien
a écrit ces pages après son installation à Badenweiler, au lendemain de la
Première Guerre Mondiale. Après avoir dirigé durant la guerre la revue
pacifiste internationale Die Weißen
Blätter, René Schickele s’est situé, selon ses propres termes, en tant que
« citoyen français und deutscher
Dichter » au-dessus des frontières nationales et retrouve un sens à
l’exsitence, au contact du paysage alémanique.
Le choix du thème
MYSTÈRES a rencontré un vif écho auprès des auteurs. Aux noms connus par nos
lecteurs, viennent se joindre de nouveaux contributeurs de différentes
expressions linguistiques.
Cinq œuvres de
Véronique Grenier, choisies pour leur « affinité élective » avec la
thématique, sont présentées en quadrichromie pour faire pleinement ressortir
les nuances.
Les rubriques
habituelles VOIX MULTIPLES, CHRONIQUES et NOTES DE LECTURE sont également bien
fournies et viennent, pour certaines, prolonger la réflexion sur le dossier
thématique.
À l’approche de
l’été que nous vous souhaitons lumineux et riche en lectures, veuillez prendre
dès à présent bonne note de la date de notre Assemblée Générale qui se tiendra
le samedi 17 septembre au Münsterhof.
Maryse Staiber et Marie-Thérèse Wackenheim