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| 2ème semestre 2018 |
EN TOUT SENS, EN TOUS SENS ?
Mais alors, dit Alice, si le monde n’a absolument
aucun sens, qui nous empêche d’en inventer un ?
Lewis
Caroll, Alice aux pays des merveilles.
Le sens échappe, il se cache, il
se transforme. Il fait ce qu’il veut, indépendant, farouche, libertaire. Il se
met là où on ne l’attend pas. Il fuit les plages surveillées et les places
assignées. Il se faufile et resurgit ailleurs.
Toujours
il garde un fil à sa patte, le fil de son origine, de sa racine. Il culbute par
dessus les mesures des syntaxes coercitives et les règles académiques. Il se
fait des alliés des révoltés qui le tirent à hue et à dia. Ne va pas tout
droit. Sens qui peut, sens qui frappe, sens perdu, sens interdit, sens hors des
sentiers battus.
Il
offre la clé des champs, il ruse, il attrape au passage l’inattendu, se régale
de la surprise. En tout sens se rit des peurs et des limites.
Dans
un galop sauvage il traverse le temps et tour à tour emporte chaque génération à
la suivante, se laisse porter et porte à son tour, fait et défait le sens commun,
le non sens, le sens figuré, le bon sens et l’ab-sens…
Il
passe les seuils invisibles, les portes dérobées, les frontières des langues.
Le sens s’allie tantôt ici , tantôt là, avec un autre de passage, ami, ennemi,
connexion insolite, née sous la plume d’un poète, le verbe d’un philosophe, le
balbutiement d’un enfant.
Soudain
il caracole tout en haut du palmarès de l’audimat. Repris, enjolivé, standardisé,
avant de retomber d’un seul coup ou de glisser très lentement du piédestal,
jusqu’au déchiffrement ardu de l’archéologue d’une langue désuète.
Ausculté
au scalpel du grammairien et du styliste, épinglé comme un magnifique papillon,
son génome est analysé et un jour peut être, par miracle, il sera ressuscité
par quelque linguiste érudit.
Poètes,
amoureux des mots, sorciers des potions magiques des sens, distillateurs des
parfums futurs, sur vos pages dispersées, en tout sens, multipliez les sens,
juxtaposez et alliez les connus et les improbables, les mystérieux et les ambigus,
les indécis et les transparents, les sages comme les fous .
Des
mille nuances des sens naissent les paroles libres qui tissent la maison légère
et bariolée qui abrite l’humanité.
Marie-Yvonne Munch
