1er semestre 2019 |
FRONTIÈRES
Le
mot frontière ne peut renier son origine militaire. On faisait frontière pour
combattre et se défendre. Qu’elles soient géographiques, politiques,
linguistiques ou culturelles, les frontières ne sont-elles pas à l’origine des
conflits entre les hommes ? Combien de sang versé, combien de guerres pour
gagner ou défendre des frontières ? Mais, comme la frontière a deux côtés,
ce terme est ambigu. La frontière est objet de conquête ou garantie de paix. Elle
peut être cause
d’affrontement et nourrir les hostilités ou préserver les conditions de bonne
entente permettant à chaque communauté d’assurer son identité. Elle peut nous
figer dans nos certitudes ou nous préserver des excès et de la transgression de
l’hubris.
Qu’elles soient
naturelles comme les montagnes, les déserts, les mers, les fleuves et les
rivières ou artificielles, comme les murs, les barrières, les clôtures, les
frontières désignent
tout ce qui fait obstacle, tout ce qui sépare. Mais ce vocable recouvre bien
d’autres formes de limites et de délimitations pas toujours aussi nettes que
les frontières d’un pays. Il est des seuils intangibles et des frontières
translucides.
Où est la frontière entre
le rêve et le réel, entre le jour et la nuit, le visible et l’invisible, le
palpable et l’impalpable, le dedans et le dehors, le fini et l’infini, entre la
parole et le silence ? Il s’agit moins alors de ce qui sépare deux côtés
que de ce qui se trouve entre eux.
Les frontières
entre les sens qui nous permettent d’appréhender le monde ne sont pas plus
étanches comme l’attestent les synesthésies mises en lumière par d’innombrables
auteurs. « Toute littérature est assaut contre la frontière », écrit Kafka.
Repousser les frontières
du savoir, dépasser les idées reçues, traquer les secrets de la matière et de
l’esprit… n’est-ce pas là la beauté et la noblesse de l’aventure humaine ?
La limite suppose encore un illimité. Comme le ciel et le silence, comme le
sourire et les larmes, l’art n’est-il pas sans frontière ?
Jacques Goorma