2ème semestre 2020 |
Le poème est le chuchotement d’un cri. L’ébruitement d’un secret. Au fond de lui, chantent les sirènes du silence. Il arrache l’invisible bâillon jeté sur le monde et donne la parole à l’indicible. Sa parole est allégée de toutes celles qu’il a effacées, mais augmentée de toutes celles auxquelles il a dû renoncer. Écrire un poème, c’est se taire davantage pour mieux dire. Alors il vient, chargé à bloc. Prêt à transmettre sa décharge. En lui, la parole tait plus qu’elle ne dit et elle agrandit le silence de sa résonance.
Le mot, sa profération, son intime résonance. Une prise éprise de son emprise. Écrire est un moyen d’entrer en résonance. Mot que l’on fredonne ou qui résonne, mais qui soudain nous éveille en plein rêve et nous dépose au milieu du ciel. Chaque mot doit s’effacer, céder la place au suivant pour résonner encore dans le corps qui le suit.
Pouvoir parler sans faire vibrer la voix. Être entendu, sans résonner dans une oreille. Tel est le prodige de l’écriture. Et son énigme. Au-delà du son parle une autre voix. C’est elle que je m’efforce d’entendre. La voix silencieuse de l’intime d’où naissent tous les chants. Cette voix n’est la voix de personne, mais elle le sait. C’est pourquoi elle peut devenir ma voix ou bien la tienne. La parole qui par écrit s’énonce invente une voix qui la prononce.
De nombreuses vies furent hantées et abîmées par le fardeau de quelques paroles, mais la vertu de quelques-unes en a également soutenu et éclairé bien d’autres. Le poids d’une parole. L’une brise, l’autre forge. L’une blesse, l’autre soigne. Prière ou malédiction. Promesse vivante ou arrêt de mort. Celle dont le plomb nous empoisonne et résonne encore dans cette chambre lointaine. Celle dont on voudrait se défaire, mais qui nous colle à l’âme. Celle qui allège et soulage. Celle qui soulève et se propage. Celle que l’on frotte entre les doigts pour en capturer l’effluve avant de la jeter comme un brin de lavande. Celle dont l’aile vibrante traverse le ciel d’un instant et nous indique la direction à suivre et celle, décisive, qui nous engage. Selon la balance, les mots ne pèsent rien ou sont plus lourds que le monde.
Sonia Delaunay - Prismes 1914 |