2ème semestre 2013 |
PRÉTÉRITION DE L’INVISIBLE
Et que derrière un voile, invisible et présente,
J’étais de
ce grand corps l’âme toute-puissante.
Jean Racine, Britannicus.
Le monde visible, qu’est-ce en vérité ?
De l'invisible à la longue solidifié
par l’appétit humain.
par l’appétit humain.
Saint-Pol-Roux, Le Fol.
Que disent, de l’invisible, Homère l’aveugle et Rimbaud le voyant ? Deux perspectives s’affrontent. L’invisible existe-t-il en soi ou ne peut-il exister qu’avec le visible ? Est-il invisible par nature ou par accident ? Le visible n’est-il qu’un voile ou la partie émergée et inséparable de l’invisible ?
Le mot invisible
est lisible et donc bien visible. Ce qu’il désigne est derrière le voile du nom
et de la forme. Que cache ce mot qui dit l’impossible ? Il suppose un arrière-plan
au visible dans lequel celui-ci apparaît. Ce qui regarde le visible est
invisible. Autrement dit, le visible a lieu dans ce qui est, à jamais, inaccessible
à nos regards. On ne peut voir l’invisible, mais l’on peut voir de l’invisible.
Si le regard se retournait
vers lui-même, comme pour aller boire à la source de tout ce qui apparaît, que
verrait-il ? Rien. Car la lumière ne peut se voir elle-même. Peut-être
surgit alors la chance de réaliser que nous ne sommes rien d’autre qu’elle.
Écouter le silence, faire sentir l’intangible, dire l’indicible, n’est-ce pas
la tâche paradoxale du poète ? Écrire. Exprimer une sensation, une
émotion, une pensée, c’est encore et toujours manifester l’invisible. Lire,
c’est entendre une voix silencieuse qui nous parle d’un monde invisible. Invisible. Ce mot désigne, de façon
négative, ce qui ne peut être vu. Il suggère également, et de manière
insistante, une réalité suprasensible. Il signale aussi bien l’ignorance (ne
pas voir ce qui est), l’illusion (voir ce qui n’existe pas), le songe ou
l’hallucination (voir autre chose que ce qui est). Il nous renvoie aux limites
de notre perception. Et l’on nomme invisible le trop petit ou le trop grand, le
trop près ou le trop loin. Les étoiles sont invisibles durant le jour. Une clarté
plus proche les éclipse. Toute parole vibrante révèle sa part singulière
d’invisible.
La beauté a cela de singulier
qu’elle emporte immédiatement notre adhésion. N’est-elle pas la forme que prend
une invisible vérité pour se révéler ?
Jacques Goorma
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POUR
UNE POÉTIQUE DE L’INVISIBLE
À la frontière du
visible et de l’invisible, dans cet entre-deux mouvant où le réel ne cesse tour
à tour de prendre et de perdre pied, se concentrent les attributs du rêve qui
irriguent la création poétique. C’est dans cet espace comparable à une
constellation que se nouent et se dénouent les fils du poème, véritable figure
en expansion sur les lisières du sens.
Un simple mot suffit à faire résonner ce
nouvel espace où les moindres signes commencent à nous parler. Alors le poème
comme un ordre intérieur prend forme au contact de ces multiples étincelles,
toujours plus près de la lumière, convertissant cette soudaine éruption en
réalité sonore, celle qui n’a d’autre consistance que la fleur « absente
de tous bouquets ».
Si l’invisible accompagne tous les faits de langage,
c’est qu’il constitue le soubassement de nos représentations, ce fond
d’ignorance commune. Fruit du désir de donner à voir, la poésie a pour tâche
difficile de combler une attente littéralement insatiable. Une attente non pas
de ces choses qu’une impossibilité matérielle nous interdit de percevoir, mais
de celles qu’on est persuadé de voir alors qu’elles ne sont en aucune manière
perceptibles et néanmoins rendues sensibles par l’évocation qui en est faite.
Cette faculté qui s’attache à la parole poétique, celle qui nomme, interroge,
appelle et promet, permet de représenter l’absence par une sorte de miracle
toujours à renouveler, et de donner vie pour un instant à ce qui n’a d’autre
existence que dans la condensation des mots qui résonnent à notre oreille, avec
cet effet de réel qui nous laisse entrevoir ce dont nous sommes séparés.
Seuls le besoin et
le désir de dire, amènent à prolonger ce que vise le poème, à poursuivre le
geste qui a guidé sa création. Ainsi apparaît l’invisible comme la recherche par
le langage de ce qui est hors-langage et finit par prendre le visage du don. Il
aiguise les regards, tisse l’étoffe des rêves, souligne d’un rien les pensées,
traverse le cours de nos vies.
Comme une subtile variation du visible, il
accompagne les instants abandonnés à l’imperceptible, à cet inaperçu dont la
présence, à l’image des spectres et des fantômes, accroît l’illusion de voir ce
qui ne peut que demeurer invisible, en quelque sorte hors d’atteinte, si ce
n’est par la sensation d’avoir entrevu furtivement cette fleur qui nous parle
sans éclat de son éclat. Dans le retrait du silence mesuré pas à pas,
l’invisible nous ouvre son chemin.
Alain Fabre-Catalan
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ÉDITORIAL
Lors de notre Assemblée Générale du 28 septembre 2013, nous avons eu
le plaisir de vous retrouver nombreux pour fêter ensemble le trentième
anniversaire de la Revue Alsacienne de
Littérature.
Pour marquer le
centième anniversaire de la fondation de l’Hôpital de Lambaréné, le chapitre
PATRIMOINE est consacré à différents témoignages portant sur la vie et l’œuvre
d’Albert Schweitzer.
Le dossier
thématique de ce numéro propose des regards multiples sur la notion de
L’INVISIBLE, thème qui a suscité un vif intérêt auprès des auteurs d’horizons
divers.
Les cinq
illustrations originales de Jean-Marc Scanreigh qui rythment les sections prolongent
les questionnements sur l’invisible. Nous remercions le plasticien qui a la
générosité d’offrir vingt-cinq
exemplaires d’une gravure sur bois, signés et numérotés, qui seront joints à
quelques exemplaires.
Les rubriques
habituelles VOIX MULTIPLES, CHRONIQUES et NOTES DE LECTURE viennent compléter
ce numéro. Relevons que les contributions de la rubrique Chroniques viennent
renforcer la cohérence thématique, en prolongeant les réflexions sur
l’invisible.
Au nom du Comité de
rédaction nous remercions nos abonnés pour leur fidélité et l’accueil favorable
réservé à nos parutions récentes. Nous espérons pouvoir à nouveau compter sur
le soutien de nos lecteurs en 2014.
Nous vous présentons
nos vœux les plus chaleureux pour les fêtes de Noël et pour la Nouvelle Année.
Maryse
Staiber et Marie-Thérèse Wackenheim
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SOMMAIRE
ÉDITORIAL
Jean-Marc Scanreigh : Illustration I
PATRIMOINE
Jean-Paul Sorg : L’écrivain
Jean-Paul Gunsett : L’avoir rencontré
Emma Guntz : Sich
in den Dienst des Lebendigen stellen
Benoît Wirrmann : Amitiés fidèles pour Marie Jaëll
Jenny Litzelmann : Albert Schweitzer et... Empédocle
Pierre Kretz : Des
bords du Rhin aux rives de l’Ogooué
Marc Chaudeur : Albert Schweitzer : Alsace, universel...
Romain Collot : Expressions d’Afrique
Jean-Marc Scanreigh : Illustration II
DOSSIER : L’INVISIBLE
Jacques Goorma : Prétérition de l’invisible
Alain Fabre Catalan : Pour une poétique de l’invisible
Fabrice Farre : Couchés sur l’herbe. Ignorance. Scène. Hors nous...
Alain Hélissen : L’un visible, l’autre pas
Karlheinz Kluge : Silberluft
Sylvie Le Scouarnec : invisible au milieu du courroux...
Jacques Goorma : Sauf-conduit. Le ciel
qu’ouvre une main.
Donner voix à l’invisible
Anne-Marie Soulier : Que vois-je ?
Emma Guntz : Sind
wir nur Sternenstaub...
Kza Han : Vision
nocturne
Michèle Finck : Ce peu de songe, presque invisible
Eva-Maria Berg : Blindes Vertrauen
Yves- Jacques Bouin : Approche de l’invisible. Image
de l’invisible
Germain Roesz : Où courrir fragile
Jean-Pierre Verheggen : Invisibilité
Jean-Paul Gunsett : Stances de circonstance. Neige à Noël
François Urban-Menninger : L’homme invisible
Jean-Claude Walter : Tu peux aller loin
Maryse Staiber : Fluglinie unsichtbar
Laurent Bayart : Un visible invisible
Martine Blanché : L’invisible Cécile
Taja Kramberger : Photosynthèse. Quelqu’un d’autre...
Aline Martin : Ewig
(traduction allemande Maryse Staiber)
Gerda Mucker-Frimmel : Frage – an wen?
Sylvie Durbec : Étoile filante
Muriel Stuckel : À la source de l’invisible
Claudine Bohi : Ce qui roule au bord
Jean-Marc Scanreigh : Illustration III
VOIX MULTIPLES
Adrien Finck : Ischnüfa
/Inspirer (traduction Angèle et Michèle Finck)
Sylvie Reff : Visage
d’étoiles. Sur terre. Présences muettes
Michael Benaglio : Fragen. Das Käuzchen
Jean-Claude Walter : Thannen
Eva-Maria Berg : noch einmal...
Caroline Guth : Strasbourg, Cathédrale / Strossburi, s’Munster
Kza Han : Vitrail
à joint vif
Pierre Zehnacker : Souffrir
Pierre Alp : Le
désert. Au coucher du soleil
Irmhild Oberthür : Fülle in unseren Breiten
Daniel Martinez : En prise
Isabelle Lévesque : Tout ignorer
Jean-Paul Gunsett : Écrire la vie. Fàscht wie Verlaine
Guillaume Decourt : Diplomatiques. Corridor
Yves Leclair : Obole
rose
Claudia Scherer : Ein Bad – Zwei Sprachen
Claude Vancour : Hommage à Julien Gracq
Marc Dumas : Sounet
VIII /Sonnet VIII
NOTICES BIOBIBLIOGRAPHIQUES
Jean-Marc Scanreigh : Illustration IV
CHRONIQUES
Jean-Paul Sorg : Devant le témoin invisible : Charles Wagner
Wendelinus Wurth : Joh. 20, 29 „Selig sind, die nicht sehen“...
Maryse Staiber : Lebensbilder
Jean-Marc Scanreigh : Illustration V
NOTES
DE LECTURES