1er semestre 2015 |
LIBRES JEUX
Aller vers l’objet,
vers le propre du langage, vers sa
capacité à jouer avec les mots, à
se jouer des mots par les choses, c’est
tenter d’atteindre l’objoie, cette
transmutation heureuse et jubilante.
Francis
Ponge
Ouvrir
le jeu, se mettre de la
partie, se laisser prendre au jeu, être pris à son propre jeu, voilà
sans doute parmi les très nombreuses expressions qui évoquent la réalité du jeu, celles qui donnent toute leur place
à ces paroles que l’on jette devant soi à l’adresse d’un autre. Le sens premier
issu du latin jocus désigne le
« jeu en paroles » se donnant libre cours sur le mode à la fois de
l’allusion et de l’illusion. N’est-ce pas là l’espace indéfini, ouvert aux
possibles, qui se présente au locuteur que nous sommes tous et à l’écrivain qui
faisant œuvre de langue cherche à donner à sa parole un style ?
Le jeu qui met les mots en mouvement au sens de « ce qui joue
bien ensemble », tel un orchestre de chambre ou un quatuor, se dévoile
autant dans la manière de mener la cadence que dans l’exécution de la
partition. Rappelons ici que la définition du jeu ainsi que ses représentations culturelles procèdent d’un double
tropisme : c’est à la fois ce qui se joue à l’intérieur de limites
déterminant un espace et un temps ludiques, et ce qui relève ou semble relever
de la fantaisie, de ce libre jeu de
l’esprit en apparence dépourvu de contraintes. Mais qu’il s’agisse de jeux de
hasard ou de jeux dominés par la compétition dans un système de règles, le jeu avec ses innombrables variantes
implique sa transgression, le hors-jeu.
L’art
moderne et la littérature ont des affinités indéniables avec la pratique du jeu comme simulacre ou recherche d’un
certain vertige. Dans le rapport qu’entretient l’artiste ou l’écrivain à sa
création, s’inscrit cette part de jeu
qui englobe en particulier le risque et l’affrontement avec l’incertitude.
Ainsi le poème ou le fragment de prose considéré comme « morceau
d’imaginaire » nous laisse-t-il entrevoir ce libre parcours du jeu dans la création (au sens où l’on
dit qu’une porte « joue ») qui ne saurait être comblé ni supprimé. Cette
fantaisie qui s’offre à l’esprit, est seule à même de donner au
« réel » sa dimension de métamorphose, source de jubilation.
Alain Fabre-Catalan
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ÉDITORIAL
À l’occasion du millénaire des fondations de la Cathédrale de Strasbourg, nous souhaitons nous associer aux festivités en consacrant le dossier patrimoine à un choix de textes évoquant ce monument. Nos vifs remerciements vont à Mgr Grallet pour son autorisation de reproduire sa préface à l’ouvrage 1000 ans de parole. Notre petite « anthologie », toute subjective, présente des poèmes et des proses, allant du baroque jusqu’au début du XXIème siècle, et ce dans les trois expressions linguistiques de notre région.
Le dossier
thématique propose des approches multiples autour de la notion JEUX. Par la
richesse des textes, le lecteur aura l’impression de découvrir un véritable
kaléidoscope, chaque auteur abordant ce thème avec la sensibilité qui lui est
propre. Ainsi, l’écriture poétique alterne avec des réflexions philosophiques, sans
oublier les textes d’inspiration plus légère « jouant » sur le sens
des mots.
Les artistes Elham
Etemadi et Germain Roesz qui, tant dans leur activité créatrice que dans leurs
approches théoriques privilégient la thématique proposée, ont réalisé en duo
une série d’illustrations pour accompagner ce numéro.
Les volets habituels
VOIX MULTIPLES, CHRONIQUES et NOTES DE LECTURE complètent cette publication.
Notons que certaines contributions prolongent l’évocation de la Cathédrale de
Strasbourg, alors que d’autres reviennent sur les jeux.
Nous vous
souhaitons, chers lecteurs, un bel été et espérons vous retrouver nombreux à
l’automne, lors de notre assemblée générale.
Maryse Staiber et Marie-Thérèse Wackenheim