Patrimoine


Juin 2016 - N° 125


Jean Hans Arp
Carrés arrangés selon les lois de la chance

René Schickele


Paysages du Ciel

L’expérience du paysage

Je me souviens de la visite, aux alentours de 1921, d’un jeune poète qui avait fait la guerre en tant que lieutenant d’artillerie. Fatigué et d’humeur maussade, il rentrait de la Ruhr où quatorze mois durant il avait travaillé dans les mines pour financer ses études. Je le conduisis sur une montagne et lui montrai les trésors de la terre.

Mais à peine la vue sur la vallée du Rhin, les Vosges, le vignoble situé sur les contreforts sud de la Forêt-Noire l’eut-elle saisi pour tenter de l’abstraire de sa réalité à lui, que curieusement le sentiment de liberté fraîchement retrouvée le révolta. Son cerveau d’artilleur se mit en quête d’abris, de points d’orientation ; plongé dans une sorte de folie militaire, il faisait la guerre avec tout un arsenal de canons dans ce jardin immense qui s’offrait à ses yeux. Il repartit sans emporter autre chose que le souvenir de la carte d’état-major quelque peu fantastique d’un champ de bataille, sur laquelle il avait fait toutes sortes d’annotations. Et pourtant la guerre ne l’avait jamais conduit dans ce paysage, il le voyait pour la première fois.

Depuis ce moment-là, je suis certain d’une chose : sur le long et fastidieux chemin du retour, les jeunes soldats ne retrouveront qu’à grand peine le paysage de jadis, leur enfance. Ils auront quarante ans avant de mettre à nouveau le pied sur une terre innocente, avant de pouvoir à nouveau accueillir le paysage qui les entoure d’un regard libéré de l’expérience de la guerre. C’est sans rapport avec la politique, je dirai même que l’esprit dans lequel un individu a vécu la guerre est sans importance. Pour tout un chacun, la guerre a eu lieu : un paysage lunaire, un séisme scientifiquement provoqué et maîtrisé, un effondrement. Cette guerre, elle a d’abord mis sens dessus dessous tous ceux qui l’ont vécue.

Pour prendre la mesure de l’innocence, de l’aptitude au bonheur que l’on porte en soi, il suffit de faire face au paysage. Même pour les artistes qui ne semblent entretenir aucune relation avec le paysage ou très peu, mettons Dostoïevski ou Raphaël (pour citer deux sommités et deux extrêmes à l’opposé l’un de l’autre), l’œuvre ayant atteint son point culminant se présente comme un paysage mystérieusement transformé, ou encore, pour citer Novalis : l’apparence, l’œuvre, est le « monde intérieur élevé au rang de mystère », mais ce monde intérieur est nécessairement le reflet d’un paysage – celui de l’enfance.

D’autres en revanche, à qui le paysage parle directement et pour qui la rencontre avec le paysage est devenue une seconde nature, le perçoivent comme un être vivant, y décryptent leur vie, l’entendent parler à leur place, se promènent en lui comme s’il s’agissait du Grand Silencieux ou du chœur dramatique qui est tantôt l’ami, tantôt l’ennemi. Et cet échange atteint sa plus grande intensité quand le paysage est celui de la terre natale, quand il se fait l’incarnation des mots et des gestes de nos ancêtres, quand il est le moule maternel qui nous a donné forme.

Traduit de l’allemand par Irène Kuhn & Maryse Staiber
Extrait de René Schickele, Paysages du ciel, Arfuyen, Orbey/Paris, 2009.

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Décembre 2015 - N° 124


Denis Leypold : L’Ange musicien


Maryse Staiber & Marie-Thérèse Wackenheim

NATHAN KATZ ET ADRIEN FINCK : LA MUSIQUE DU SUNDGAU

Le Sundgau : « pays du Sud », pays alémanique. Nathan Katz en est le chantre et c’est à son œuvre qu’il faut se référer pour saisir l’esprit du pays. Il est né en 1891 à Waldighoffen, village près de la frontière suisse, à proximité de Bâle, dans une famille juive, parfaitement intégrée. Mobilisé dans l’armée allemande en 1914, envoyé sur le front russe où il est fait prisonnier, il est liberté après deux ans de captivité. Il a tôt fait la connaissance d’Eugène Guillevic qui, d’origine bretonne, a vécu durant sa jeunesse dans le Sundgau, et est considéré comme l’un des poètes français les plus marquants de la deuxième moitié du XXe siècle. Tous deux participent aux réunions du « Groupe d’Altkirch », éphémère cercle d’écrivains et artistes réunis par René Jourdain, fils d’un industriel d’Altkirch (Maxime Alexandre et Jean-Paul de Dadelsen en font également partie, tout comme des intellectuels parisiens en vacances, dont André Frénaud et la  fille d’Henri Bergson). Juif alsacien, Nathan Katz se réfugie de 1940 à 1945 à Limoges, puis, après la guerre, obtient un poste de bibliothécaire à Mulhouse où il réside jusqu’à sa mort en 1981.

Après deux publications en haut-allemand, il trouve – à l’instar d’un Johann Peter Hebel – sa langue poétique authentique : la langue de son pays natal, le haut-alémanique du Sundgau. Les deux grands recueils de poésie dialectale, Sundgäu (1930) et O loos da Rüef dur d’ Gàrte (1958) constituent le véritable cœur de son œuvre. Le lyrisme de Nathan Katz, habité par une musicalité intérieure, est indissociable de sa langue maternelle. Si Katz nous apparaît comme un poète « naïf » (au sens schillérien du terme), si son écriture est d’une apparente simplicité, cette œuvre est celle d’un artiste conscient et d’un esprit éclairé qui a su libérer la poésie dialectale des formes métriques figées et des rimes usées, stylisant la langue populaire sans trahir l’essence, en l’élevant au niveau d’une langue littéraire, éloigné de tout folklore d’une « poésie du terroir » (Heimatdichtung). Citons, pour cerner de plus près la fonction poétique du dialecte chez Nathan Katz, cette analyse de Yolande Siebert, spécialiste de son œuvre, extraite de Nathan Katz, poète du Sudgau (Istra, Strasbourg, 1978, p. 18) :

« Aucun paysan sundgovien n’a jamais parlé comme Nathan Katz écrit. C’est donc dans le passage du dialecte populaire, qui par définition se présente sous la forme orale, au dialecte littéraire, celui de O loos dà Rüef dur d’ Gàrte, qu’intervient tout un immense travail de sélection, de stylisation et d’appropriation, dans lequel le poète dialectal, comme tout poète, utilise les techniques de son métier. Certes ce dialecte est tout aussi peu "naturel" que ne le sont les langues de Racine ou de Schiller. Mais il est totalement "authentique" parce que Nathan Katz travaille dans la plus exigeante fidélité au matériau et à l’usage. »

« Destin poétique exemplaire, que celui d’Adrien Finck, pour les écrivains alsaciens de notre génération », c’est en ces termes que Claude Vigée résume la situation du poète alsacien marqué par les traumatismes de l’histoire du XXe siècle, dont l’itinéraire est celui d’une difficile reconquête de la langue natale. Né en 1930 à Hagenbach, près d’Altkirch, Adrien Finck fait des études germaniques à l’Université de Strasbourg et à la Sorbonne, pour partager ensuite son temps entre l’enseignement universitaire (tout particulièrement soucieux de faire découvrir aux étudiants ainsi qu’aux chercheurs la littérature régionale tombée dans l’oubli) et la création poétique. Rappelons qu’il est un des membres fondateurs de la Revue Alsacienne de Littérature, créée par Auguste Wackenheim en 1983, et qu’il a occupé la fonction de Président de 1997 à 2007 ; par ailleurs il s’est investi dans la vie littéraire de notre région et dans la médiation franco-allemande.

Au plus profond, l’œuvre poétique d’Adrien Finck est marquée par le problème de l’allemand en Alsace, d’une langue éprouvée à la fois comme intime et étrangère : victime d’un mutisme initial (en témoigne le récit Der Sprachlose), le poète a réussi à se libérer et à retrouver l’élan créateur dans sa langue natale, le sundgovien, et à faire chanter sa Mülmüsik. Tout en restant attachée au sens, cette écriture poétique, placée sous le signe du nouveau mouvement identitaire et de la renaissance dialectale, est marquée par le goût de l’expérimentation et de la modernité, voire de la postmodernité (technique du montage, du collage, de la citation).

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Juin 2015 - N° 123


Jean Hans Arp

Martin Opitz

Vber den Thurn zu Straßburg

PRintz aller hohen Thürn’ / als jemals wird beschawen
Der Sonnen klarer Glantz / vnd vor beschawet hat;
Wie recht / weil Straßburg ist dergleichen schöne Stadt /
Hat man dich nur in sie alleine müssen bawen.
            Du rechtes Wunderwerck bist zierlich zwar gehawen /
Doch noch bey weitem nicht zu gleichen in der That
Der feinen Policey / dem weisen Recht’ vnd Rhat’ /
Vnd grosser Höffligkeit der Männer vnd der Frawen /
            Welch’ vber deine Spitz’ an Lobe zu erhöhen:
Kein Ort wird jrgend je gefunden weit vnd breit
Der jhnen gleichen mag an Güt’ vnd Freundligkeit.
            Wie wol gibt die Natur hiermit vns zu verstehen /
Daß / wann die Bäwe gleich mehr steinern sind als Stein /
Der Menschen Hertzen doch nicht sollen steinern seyn.

(1624)

Julius Wilhelm Zincgref

Vom Thurn zu Straßburg, warumb der andere darneben
nit auffgebawet worden

IHr seyt vnrecht daran, Zuseher, die ihr schawet
Diesen herrlichen Thurn, das achte Wunderwerck
Deß Irrdischen bezircks, vnd vber alle Berg
Denselben hoch erhebt, weil er köstlich erbawet
Biß an die Wolcken reicht, daß ihr darbey wolt klagen,
Es mangelt ihm noch eins, diß nemlich, daß der grundt
Seins Bruders neben ihm leer, der vff diese stundt
Nur halb geführet auff. Nicht lasset euch mißhagen
Dieses geheimnus groß. Natur hats eingestelt
Daß neben diesem Thurn noch einer solt gefallen,
Dann so ist er allein der schönst und höchst vor allen,
Vnd hat seins gleichen nicht in dieser weiten Welt.

(Straßburg, 1624)

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Jean Hans Arp


La Cathédrale est un cœur

La cathédrale est un cœur
Comment ai-je pu dire
que la cathédrale de Strasbourg
était un cœur ?
Pour la même raison
que vous pourriez dire
que nous sommes une branche d’étoiles
que les anges ont des mains de poupée
que le bleu est en danger de mort
qu’il déteste les surhommes
et qu’il préfère les hommes de neige
qui fondent sur une plage d’été entourés de lampes à pétrole.
La cathédrale est un cœur,
La tour est un bourgeon.
Avez-vous compté les marches
qui mènent à la plate-forme ?
Elles deviennent chaque soir de plus en plus nombreuses.
Elles poussent.
La tour tourne
et tourne autour d’elle.
Elle tourne elle pousse
elle danse avec ses saintes 
et ses saints
avec ses cœurs.
S’envolera-t-elle avec ses anges
la tour de la cathédrale de Strasbourg ? 
La cathédrale de Strasbourg
est une hirondelle.
Les hirondelles
croient aux anges de nuages.
Les hirondelles ne croient pas aux échelles.
Pour monter en l’air
elles se laissent tomber en l’air
dans l’air tissé 
de bleu infini.
La cathédrale de Strasbourg
est une hirondelle.
Elle se laisse tomber dans le ciel ailé
dans l’
air des anges.

Extrait de Jours effeuillés, Gallimard, Paris, 1966.

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Paul Claudel


STRASBOURG
                                                          À M. le Dr Bucher

            La Cathédrale, toute rose entre les feuilles
d’avril, comme un être que le sang anime, à demi humain,
            Le grand Ange rose de Strasbourg qui est
debout entre les Vosges et le Rhin,
            Contient bien des mystères dans son livre et
des choses qui ne sont pas racontées
            Pour l’enfant qui vers ce frère géant lève les
yeux avec bonne volonté.
            Salut, Mères de la France là-bas, Paris et
Chartres et Rouen,
            Grandes Maries toutes usées et chenues, ô
Mères toutes noires de temps !
            Mais qu’il est jeune ! qu’il est droit ! comme
il tient fièrement sa lance !
            Qu’il fait de plaisir à voir dans le soleil, plein
de menaces et d’élégance,
            Tel que le bon écuyer qui soutient son maître
face-à-face,
            L’Ange de Strasbourg en fleur, rose comme
une fille d’Alsace !
            Dieu n’a point fermé les yeux de la mère
pour qu’elle ignore
            Ce Fils mystérieux au-dessus d’elle et ce
grand laurier dans l’aurore !
            C’est aussi présent que moi ! c’est de la
pierre ! c’est aussi sain,
            Aussi neuf, aussi vivant, aussi dru
que la rose de ce matin,
            Ce qui de toutes parts à moi s’ouvre et
m’accueille, et qui enfin
            M’immerge, profond et divers, quand j’ai
franchi le portail,
            Asile comme le sein des mers, aussi vermeil
que le corail !

(...)


Paul Claudel fait paraître ce poème Strasbourg, dont voici la première partie, en tête du numéro d’août 1913 de La Nouvelle Revue Française, parfait exemple de ce verset claudélien, à la fois exigeant et âpre, dont le rythme appelle la diction à voix haute, à la façon du Partage de midi ou du Soulier de Satin, inscrivant son auteur parmi les seigneurs de la littérature française du XXe siècle.

On sait l’importance qu’avait aux yeux de la NRF la personne de Claudel, de bonne prise, on rappellera que Claudel a été le premier auteur à être publié sous la couverture crème au triple liseré noir et rouge, donnant aux Éditions de la Nouvelle Revue Française L’Otage en mai 1911, lançant ainsi l’aventure éditoriale des Éditions Gallimard, avec un texte de Gide, Isabelle, un autre de Charles-Louis Philippe, La Mère et l’enfant.

Claudel fera le voyage de Strasbourg en 1913, à l’occasion, dans la foulée de Hellerau, d’une représentation qu’y donne Copeau de L’Annonce faite à Marie. C’est alors qu’il rencontrera Pierre Bucher et Elsa Koeberlé.

Le poème Strasbourg fut repris, ainsi qu’un autre intitulé Sainte Odile, dans Corona benignitatis anni dei, qui paraît initialement en août 1914 aux Éditions de la NRF, aux bons soins de l’Imprimerie Sainte-Catherine, installée à Bruges. Devant l’avancée pressante des forces allemandes, l’imprimeur, voulant protéger sa production, et, comme beaucoup, croyant à une guerre courte, enterre le tirage de l’opus claudélien, en attente donc de temps meilleurs. Le destin et ses vicissitudes ont voulu que ces livres disparaissent corps et biens, comme engloutis dans les replis de la terre, et proprement avalés. Il est assez plaisant d’imaginer l’imprimeur muni d’une bêche, partant à la recherche du grand œuvre, craignant l’ire du poète, comme on ferait s’agissant d’un trésor perdu – mais sans succès – ou retrouvé, mais dans un état tel qu’il valut mieux l’oublier.

Foin d’exhumation, l’immense Claudel n’était pas homme à lâcher l’affaire, comme le montre la lettre qu’il adresse à Gaston Gallimard le 26 juin 1915 :

« Cher Monsieur Gallimard, 
La guerre se prolonge, ne croyez-vous pas que l’on pourrait procéder à une nouvelle impression de la Corona en attendant le moment lointain sans doute où l’on pourra procéder au déterrement de l’édition de Bruges ? »

Gide, Schlumberger et Gallimard ne purent que se résoudre à faire recomposer et réimprimer l’ouvrage qui paraîtra en octobre 1915, cette fois chez Julien Crémieu, rue Pierre-Dupont à Suresnes (Seine), plus loin donc de la zone des combats. Moïse sauvé des eaux, Claudel de la terre, les choses rentrèrent dans l’ordre. Pas de nouvelle à cette heure du tirage initial, qui, s’il ressurgissait à la manière d’un corps recraché par la moraine d’un glacier, atteindrait au statut de curiosité bibliophilique – tempéré par le fait que les lecteurs de Claudel ne sont plus foison, les temps préférant le facile.

Deux éditions verront ainsi le jour, la première dite ordinaire, tirée à 4400 exemplaires sur vergé, achevée d’imprimé au 15 octobre 1915, marquée selon le rite claudélien d’une vignette, ici représentant la statue de la Synagogue. Une autre réimposée au format in-4° tellière, sur vergé pur fil de Voiron, agrémentée d’un Saint-Christophe, tirée à 75 exemplaires plus 7 hors commerce – ce qui montre le soin des hommes de la NRF, et en premier lieu Gide, à traiter convenablement l’irascible Claudel, dont la commercialité des œuvres est grande et le lectorat fidèle, et la susceptibilité en proportion, et à fleur de peau, ce alors qu’après la parution en revue des (aux yeux de l’auteur de L’Annonce faite à Marie) scandaleuses Caves du Vatican, les liens avaient pu se relâcher.

On lira enfin, si l’on aime Claudel, le chapitre de L’œil écoute (1946), intitulé La Cathédrale de Strasbourg.
Vincent Wackenheim

Auguste Wackenheim

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Décembre 2014 - N° 122


Lucia Reyes : Utopie I

Ernst Stadler
Un essai sur René Schickele et le « geistiges Elsässertum »

L’Alsace de l’esprit ou l’esprit de l’Alsace
Introduction à la traduction inédite d’un texte d’Ernst Stadler sur René Schickele

○ Nous sommes en Alsace, dans les toutes premières années du XXe siècle. Depuis trois décennies déjà, la région, au sein du Reichsland Elsass-Lothringen, est devenue partie intégrante au Reich wilhelmien. Pour autant, de l’aveu même des autorités allemandes et des milieux intellectuels qui soutiennent cette intégration, la politique de germanisation menée depuis trente ans, est un échec et beaucoup se demandent déjà si les Alsaciens ne seraient pas indociles par nature et incapables de s’intégrer. De cet échec naît une question, la « question alsacienne » : qu’est-ce que l’Alsace ? Qui sont donc ces Alsaciens qui, malgré les apparentes similarités linguistiques et culturelles, rechignent à se fondre dans le Reich allemand ?

On sait la réponse que Friedrich Lienhard et le mouvement de l’Alsabund, qui dominaient alors les Lettres alsaciennes, voulurent faire à cette question : l’Alsace est un terroir, un « pays natal » (Heimat), dont la substance se définit avant tout par une série de particularités pittoresques, un dialecte, des paysages, des légendes, des traditions, qu’il convient de célébrer et de conserver. Une région parmi d’autres, en somme. Avec ses particularismes, mais aussi avec ses points communs, nombreux et décisifs, avec la culture allemande, et qui devrait à ce titre pouvoir, comme les autres Länder, trouver sa place dans la mosaïque culturelle du Reich.

C’est dans ce contexte que dès 1901, la « Jeune Alsace », un groupe de jeunes écrivains et artistes désireux de rompre avec ce conservatisme régionaliste, en appelle, depuis Strasbourg, à une révolution littéraire et culturelle. Autour de René Schickele, il réunit aussi bien des Alsaciens que des « Altdeutsche », des Allemands nouvellement installés en Alsace. Il y a là les écrivains Ernst Stadler, Otto Flake, Hans Koch, Bernd Isemann, René Prévôt, les peintres Georges Ritleng et Hans Arp. Ils se réunissent dans l’atelier de Ritleng à Strasbourg, puis dans une des tours des Pont-Couverts, louée à la ville. Ils écrivent d’abord dans la revue munichoise Die Gesellschaft puis créent en 1902 Der Stürmer et, en 1903, Der Merker. Autour de Schickele, ils y théorisent, développent et promeuvent une idée nouvelle, celle du « geistiges Elsässertum », d’une l’alsacianité, ou d’une « Alsace de l’esprit ». L’Alsace, écrivent-ils, n’est pas « quelque chose de rétrograde, de géographiquement borné », ce « n’est pas un rétrécissement de l’horizon, un provincialisme, un art du pays natal mais une disposition de l’âme bien précise et très évoluée, un bien culturel solidement ancré, auquel la tradition romane aussi bien que germanique ont donné ses éléments les plus précieux ». Ce qui fait la spécificité et la singularité paradoxales du particularisme alsacien, c’est précisément que l’Alsace n’est pas bornée, fermée sur elle-même, vouée à la conservation éternelle d’un ensemble pittoresque de coutumes et de traditions locales, mais que, de par sa situation frontalière et son histoire, elle est au contraire traversée par un mouvement continuel de médiation entre les cultures française et allemande et, plus largement, européennes. Sa vocation particulière est par essence transnationale. Sa singularité est dans l’ouverture aux autres cultures. Son particularisme est universaliste.

Cette idée, qui porte déjà en germe la vocation européenne de Strasbourg, fera d’abord long feu. La revue Der Merker ne connaîtra que deux numéros et les membres de la « Jeune Alsace », Schickele, Stadler et Flake en tête, quitteront dès 1904 Strasbourg pour poursuivre leur chemin littéraire sous d’autres cieux européens, à Berlin, Paris, Munich, Oxford ou Bruxelles. Mais dans leurs écrits, leurs travaux, leurs projets, ils continueront à développer et à défendre cette idée d’une Alsace qui, comme terre de médiation, aurait pour vocation de faire toujours connaître l’autre culture : en Allemagne, la culture française, en France, la culture allemande. Ainsi, en 1914 encore, quelques mois avant le début de la guerre, Stadler se réjouissait de voir arriver à Strasbourg le philosophe et sociologue Georg Simmel, dans lequel il espérait trouver un allié. Mais l’effroyable déferlement de violence nationaliste de la Grande Guerre viendra finalement réduire au silence et balayer pour longtemps cette utopie alsacienne.

Un an auparavant, en 1913, Stadler avait publié dans l’Almanach pour les étudiants et la jeunesse d’Alsace-Lorraine un long article sur René Schickele, dans lequel il revenait sur ce concept essentiel de « geistiges Elsässertum », qui, un siècle plus tard, alors que Strasbourg est devenue capitale européenne et siège du Parlement européen, n’a rien perdu de sa pertinence.

○ Dans le dossier Patrimoine de ce numéro "Utopies", nous proposons la traduction des premiers mouvements où figurent notamment les passages relatifs à « l’alsacianité de l’esprit » chère à Schickele et Stadler. Elle a été réalisée par Julien Collonges, qui, avec Jérôme Schweitzer et Tatiana Victoroff, est le commissaire de l’exposition « 1914, la mort des poètes » qui ouvrira en novembre 2014 à la Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg et qui est consacrée à trois poètes européens morts sur les fronts de la Grande Guerre : le Français Charles Péguy, l’Alsacien Ernst Stadler et l’Anglais Wilfred Owen. Une façon toute « alsacienne » de donner pour la première fois à lire au public francophone d’ici et d’ailleurs ce texte fondateur d’une vision toujours actuelle de l’Alsace comme pont et trait d’union entre les cultures.

René Schickele
sur le pont du Rhin vers 1930

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Juin 2014 - N° 121


Auguste Wackenheim - Danse macabre


○ Une série de 80 oeuvres originales d’Auguste WACKENHEIM sur le thème de la Danse macabre a donné lieu à une exposition du 10 janvier au 7 février 2014 à la Maison Interuniversitaire des Sciences de l'Homme Alsace (MISHA) à Strasbourg. Son recueil Elsässer Dodedànz paru en 1997 chez le Verger Éditeur s’inscrit avec ces créations dans la grande tradition européenne des danses macabres, grâce à son talent de dessinateur et d’écrivain. Illustrés avec humour, à l’instar des défilés carnavalesques du Moyen Âge, ces textes présentent un cortège de professions et d’activités contemporaines avec, en filigrane, leurs secrètes correspondances avec l’au-delà. A cette occasion, la revue publie le texte d'accompagnement que Francis Rapp avait rédigé lors de la parution de cet ouvrage. Une choix de poèmes en dialecte strasbourgeois est reproduit avec la graphie et les vignettes originales créées par l'auteur. Jean-Claude Walter en avait assuré l'adaptation française et Maryse Staiber la traduction en haut-allemand.


Auguste Wackenheim - Danse macabre


Francis Rapp

LE RECUEIL ELSÄSSER DODEDÀNZ
d’Auguste Wackenheim

 « Aucune autre époque que le moyen âge à son déclin n’a donné autant d’accent et de pathos à l’idée de la mort ». Ainsi s’exprime l’un des meilleurs connaisseurs, Johan Huizinga, dans un ouvrage que le monde scientifique considère comme un chef d’œuvre. Le titre du livre en évoqua d’un mot tout le contenu : L’automne du moyen âge. Parmi les traits qui caractérisent cette arrière-saison d’une civilisation, l’auteur retient un sentiment très vif de la fragilité de l’existence humaine, une propension irrésistible à la méditation des fins dernières. La réflexion tournait à l’obsession, dit-il, et renouvelait indéfiniment une « émotion qui se pétrifiait dans la représentation réaliste de la mort hideuse et menaçante ». La Danse macabre n’était pas la seule image qui, tout en exprimant cette crainte, la ravivait sans cesse, mais c’était sans nul doute la plus forte.

Pour quelles raisons le moyen âge ensoleillé des XIIe et XIIIe siècles, celui qui avait élevé des cathédrales rayonnantes, mariant la puissance des volumes et l’élégance des lignes, celui qui avait créé les sommes théologiques dont la profondeur ne nuisait pas à la clarté, s’était-il abandonné peu à peu à la nostalgie languide ? Il serait assurément présomptueux d’expliquer en quelques lignes cette évolution dans son ensemble, mais l’historien parvient à découvrir ce qui conduisit les hommes de ce temps à se fixer sur la vision de la mort.

Media vita morte sumus, « au cœur de la vie, la mort nous accompagne ». Ce chant avait été composé jadis pour rappeler aux moines la fragilité des choses d’ici-bas. Mais à la fin du moyen âge, il exprimait une réalité dont, en dehors des cloîtres aussi bien qu’au dedans, tout un chacun avait fait l’expérience. La Peste Noire avait brusquement montré que, sans crier gare, la camarde peut faucher des centaines d’hommes et de femmes. De 1348 à 1351, le mal avait ravagé toute la chrétienté, emportant souvent le tiers de la population et parfois la moitié. Dans les villes, le glas sonnait à longueur de journée. Les décès étaient si nombreux que les fossoyeurs, décimés eux-mêmes par le fléau, ne parvenaient qu’à grand peine à s’acquitter de leur tâche. Les survivants gardaient sous leurs yeux bien plus longtemps qu’ils ne l’auraient voulu les cadavres défigurés des défunts. La mentalité de l’occident porta d’autant plus profondément la marque de ce traumatisme que les récurrences du fléau renouvelèrent fréquemment les angoisses déchainées par son premier passage.

Sur une sensibilité violemment exacerbée, les prédicateurs agirent avec une insistance sans précédent. Ils voulaient obtenir du peuple chrétien dans son ensemble un profond mouvement de conversion. Un malheur sans précédent avait frappé l’Église. Pendant près de quarante ans, de 1378 à 1417, un schisme l’avait cassée, d’abord en deux puis en trois morceaux. Deux papes, puis trois se disputèrent l’autorité qui au cours des siècles s’était concentrée entre les mains du successeur de Pierre, mais la situation juridique était si complexe et si nouvelle qu’il était difficile de voir dans quel camp se trouvait la légitimité. Une sorte de révolution constitutionnelle s’avéra nécessaire. Le Concile de Constance, après avoir proclamé que, dans certaines circonstances, le Saint-Père lui-même était tenu de se soumettre à ses décisions, écarta les trois rivaux et choisit le souverain pontife qui devait présider aux destinées de la chrétienté réunifiée. La fracture enfin était réduite. Mais elle avait fait trop mal pour qu’elle fût oubliée rapidement. On s’interrogeait : Le Seigneur n’avait-il pas permis cette longue misère parce que son peuple avait fait bon marché de sa loi ? Afin d’éviter le retour de semblables calamités, il était urgent de revenir sur le droit chemin. Les prêtres, les moines et les prélats se montraient indignes de leur vocation. Le laxisme devait être combattu. La réforme devint l’ardente obligation de l’Église. La masse des fidèles portait également sa part de responsabilité. Elle n’était chrétienne que de nom ; il fallait qu’elle le devînt de cœur. Encore convenait-il de le lui faire savoir, de lui dire pour quelles raisons elle devait se convertir et lui montrer les voies de la pénitence. Une bonne partie du clergé s’y employa, en particuliers les religieux dits mendiants, Dominicains et Franciscains. Jamais auparavant la prédication n’avait tenu une aussi grande place dans la chrétienté. À la parole proclamée du haut de la chaire s’ajoutait, pour approfondir et prolonger les effets des sermons, la parole chuchotée des confesseurs, la parole figée des livres et, last but not least, l’illustration du discours, l’image, grande fresque, enluminure ou gravure. Tout autant que de convaincre leurs auditeurs, les orateurs s’efforcèrent de les émouvoir. La génération qui, à la suite des pestes, vivait dans la crainte du trépas, offrait à leur action un point particulièrement sensible. Ils ne se firent pas faute de le toucher.

Ils voulurent faire comprendre à leurs ouailles que la mort était le moment le plus important de la vie. Un mouvement de repentir et tout était gagné, une poussée de révolte et tout était perdu. Bien mourir était un art dont il était nécessaire d’apprendre les règles afin de les appliquer le moment venu. Des livres illustrés enseignèrent l’ars moriendi, mais ils n’atteignaient qu’un public réduit, car les masses étaient illettrées. Or, c’étaient elles qu’il fallait remuer. Pour y parvenir, le meilleur moyen était encore le sermon, mais le sermon dont des images illustreraient le propos du prédicateur.

À la fin du XVIe siècle, un sujet retint l’attention des clercs. Il reprenait le motif ancien de vado mori (Je vais mourir) qui mettait en scène des morts défilant sous les yeux des vivants ; il représentait trois « vifs » auxquels trois défunts déjà rongés par la décomposition disaient : « Nous étions ce que vous êtes, vous serez ce que nous sommes ». L’élément qui changea l’allure du thème sans en modifier le sens fut emprunté par les orateurs aux traditions populaires. Elles affirmaient que les défunts dansaient la nuit dans les cimetières. Ainsi naquit la Danse macabre, un adjectif peut-être dérivé du mot arabe désignant les tombes. Des morts appartenant à toutes les classes sociales invitent leurs homologues encore vivants à se livrer avec eux à de funèbres entrechats. Le clergé comprit rapidement le parti qu’il pouvait tirer de cette terrible farandole. Sur le mode drastique, elle rappelait la fragilité de la vie. Foudroyé, le chrétien n’aurait plus le temps de se mettre en règle selon les préceptes de l’ars moriendi. Bien vivre afin d’être prêt toujours était plus utile que savoir bien mourir. Quand les clercs qui voulaient guérir les âmes du péché utilisèrent-ils pour la première fois cette thérapeutique de choc ? À Wurtzbourg après 1360, disent les uns ; d’autres penchent pour Paris et ramènent la date vers les années 1370. Ce qui est sûr, c’est que les malheurs du Schisme provoquèrent un recours fréquent à cette mise en garde contre les plaisirs illusoires d’ici-bas. L’illustration comptait presque autant que le discours.

Des religieux montèrent des représentations théâtrales dont le ballet des morts et des vifs constituait le cœur. L’imprimerie, friande de sujets à succès, s’empara de celui-ci. Elle publia textes et gravures à Paris, Heidelberg et Lübeck entre autres. Mais le moyen le plus commode pour agir durablement sur l’esprit des gens, c’était encore la fresque. Elle ornait les murs des églises ou ceux des cimetières où les sermons des Dominicains attiraient les foules, à Strasbourg, Bâle et Berne.

Tout au long du XVe siècle, la Danse macabre gagna la plupart des pays de la chrétienté, au nord des Alpes du moins, de l’Armorique à l’Estonie avec une sorte de prédilection pour la vallée du Rhin. Elle fut reçue dans les capitales – frère Richard remua les Parisiens en commentant celle qui couvrait les parois du charnier des Saints Innocents –, mais de modestes bourgs – tel Kermaria en Bretagne – l’accueillirent. Elle s’était intégrée si parfaitement au répertoire iconographique de l’Occident que le changement profond de tonalité spirituelle causé par l’essor du protestantisme ne l’en chassa pas. La contre-réforme catholique s’en servit et les luthériens ne la dédaignèrent pas. L’optimisme des Lumières et celui de l’ère scientiste remisèrent au magasin des accessoires cette vieillerie fabriquée par l’obscurantisme du moyen âge.

Le XXe siècle a chassé les illusions du XIXe. Les grandes peurs ont reparu ; elles ont changé de forme, mais elles n’ont rien perdu de leur force tenaillante. Le Totentanz affleure ; même privé du terreau religieux qui l’a nourri jadis, il est prêt à refaire surface. Le professeur Wackenheim a perçu l’actualité de ce thème plusieurs fois centenaire. Non pas que ce savant regrette le moyen âge ! Il apprécie les bienfaits techniques de la modernité, mais le praticien qu’il est connaît le cœur de l’homme, ses espoirs et ses craintes de toujours. Il constate que l’angoisse est la compagne de l’homme d’aujourd’hui. Alsacien, il a le don que les tragédies vécues par notre province ont fait naître et grandir chez nous, celui d’exorciser le malheur en le considérant à travers le prisme de l’humour. Et c’est bien ce qui caractérise la Danse macabre : elle rabote les préjugés, elle dénonce, en sautillant, la folie des vanités. Mais délaissons Clio pour goûter, à travers une sélection de poèmes qui suivent l’ordre dans le recueil, toute la richesse du texte que l’auteur, grâce à son double talent d’écrivain et d’artiste nous offre aujourd’hui.

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Décembre 2013 - N° 120


Jean-Marc Scanreigh

Jean-Paul Sorg
  
L’ÉCRIVAIN

 Le prétexte du dossier « Patrimoine Albert Schweitzer » est le centenaire de la fondation de l’Hôpital A. S. de Lambaréné au Gabon. Nos amis allemands fêtent à ce propos 100 Jahre Menschlichkeit.
Le docteur en médecine Albert Schweitzer et son épouse Hélène née Bresslau, infirmière diplômée, arrivèrent à Andende, station missionnaire protestante, au bord de l’Ogooué, le 16 avril 1913. Ils étaient partis de Gunsbach le 21 mars.

C’était l’après-midi du Vendredi Saint de 1913. À Gunsbach, le village des Vosges où j’ai passé mon enfance, les cloches avaient sonné la fin du culte. Soudain le train apparut au détour de la forêt. Notre voyage en Afrique commençait. Il fallut prendre congé. De la plate-forme de la dernière voiture, nous aperçûmes une fois encore la pointe du clocher. Quand la reverrons-nous ? Le jour suivant, lorsque la cathédrale de Strasbourg disparut dans le lointain, nous nous crûmes déjà transportés en pays étranger...

Ainsi commence le récit que Schweitzer a donné lui-même de son voyage, au chapitre 2 du livre de souvenirs de son premier séjour en Afrique (1913-1917). Zwischen Wasser und Urwald. Titre en français : À l’orée de la forêt vierge. La version que nous avons reproduite, avec ses passés simples typiques de ce temps-là, est une traduction anonyme qui date de 1923, dans la première édition française à la Librairie Évangélique de Strasbourg.
Schweitzer avait écrit à l’automne 1920 ses souvenirs d’Afrique à l’instigation de la baronne Greta Lagerfelt, rencontrée en Suède, et pour l’éditeur Lindblad à Upsala. La baronne entreprit aussitôt la traduction du manuscrit en suédois et la première édition, en 1921, fut suédoise. Suivie la même année d’une édition allemande chez l’éditeur suisse Haupt à Berne. L’éditeur suédois avait imposé un nombre limité de signes et Schweitzer dut s’appliquer à une « stricte économie d’expression », ce qui, dit-il, lui devint une habitude. Dans une version initiale du récit de son voyage Unterwegs, rédigée en juin 1913 sous forme d’un rapport (Bericht) à l’attention des amis qui soutenaient son œuvre humanitaire, il avait été plus prolixe, plus détaillé, plus pittoresque, plus littéraire. Pour la forme du livre il a travaillé sur cette première version (quatre rapports en tout, allant jusqu’à mai 1914), la comprima, en supprima des milliers de mots. Ce travail de réécriture lui coûta finalement, soupira-t-il, plus de peine que la composition première, spontanée, au fil de la plume.
Voici du premier paragraphe deux variantes originales. L’attaque était directe, suivie d’une prosopopée incidente du plus pur style romantique.

Die Glocken hatten den Karfreitagsnachmittaggottesdienst ausgeläutet : die Kirche und die Berge von Günsbach grüßten über das Tal herüber.
(Les cloches avaient sonné la fin du culte de l’après-midi du vendredi saint ; l’église et les montagnes de Gunsbach se saluaient par-dessus la vallée.)

Et la fin du paragraphe était beaucoup plus évocatrice et poignante suggérant, d’une manière toute romantique encore, l’état d’âme, le cœur lourd, du voyageur à travers sa vision du paysage qu’il quitte et qui le fuit.

Wir standen auf der Plattform des letzten Wagens. Die Kirchturmspitze verschwand zwischen den Bäumen, tauchte noch einmal auf, kam, verschwand wieder und so fort und fort, bis sie endgültig unsichtbar wurde. Zuletzt verschwanden auch die Berge; der Zug rollte in die Ebene.
(Nous étions debout sur la plate-forme du dernier wagon. La pointe du clocher disparut entre les arbres, elle surgit encore, disparut, ressurgit et reparut ainsi à plusieurs reprises, jusqu’à ce qu’elle fût définitivement hors de notre vue, de même que les montagnes ; le train roulait dans la plaine.)

En choisissant de commémorer sur les lieux le centième anniversaire du départ de Gunsbach et de l’arrivée au Gabon, les associations nationales des amis d’Albert Schweitzer ont encore mis au premier plan la figure du « Grand Docteur », comme on l’a appelé sur place à Lambaréné, ou du « bon docteur Schwétzère », comme parfois on dit encore avec commisération à Paris, une figure morale entretenue ainsi dans la dimension symbolique et mythique qu’elle avait prise de son vivant, déjà entre les deux guerres et puis surtout, avec une amplitude mondiale, dans les années 1950 et 1960.

À ceux qui déplorent que le mythe décliné en clichés continue à faire de l’ombre au personnage historique et à son œuvre écrite de philosophe, de théologien, de pasteur, de musicologue, de conteur et d’autobiographe, on répondra que le mythe n’aurait jamais pris forme et brillé sans l’existence et la qualité littéraire de plusieurs de ses livres, à commencer par À l’orée de la forêt vierge qui, dès les années 1920, sera traduit en néerlandais, danois, finnois et japonais. En 1951, édition enfin parisienne, chez Albin Michel, de l’ouvrage, assorti d’une préface inédite de l’auteur. Ce sera alors pendant une dizaine d’années un best seller non seulement français, mais mondial. C’est grâce au succès de ce livre dès 1921 et ses retombées financières que Schweitzer a pu régler rapidement ses dettes, contractées de 1914 à 1917 auprès de la Société des Missions, et qu’il est devenu une célébrité, qu’il a assis son mythe ou plutôt que celui-ci s’est constitué, bien malgré lui.
Ainsi, ruse et triomphe de la littérature. Sans elle, concrètement : sans le travail d’écrivain de Schweitzer, sans le talent narratif qu’il y a manifesté, il n’y aurait pas eu de mythe. Et puis, le mythe a certainement nourri la littérature, Schweitzer a été traité comme un personnage littéraire, romantique et romanesque. Il est minuit, Dr Schweitzer etc. On n’a pas encore fait le tour de toutes les œuvres de fiction qu’il a inspirées pour en être le personnage central ou dans lesquelles passe au moins sa silhouette, l’ombre de sa moustache et de son casque colonial.

Mais qu’en est-il de son œuvre littéraire propre ? Incommensurable tout ce que cet homme a écrit au cours de sa vie. Faute de temps, parce qu’accaparé par ses tâches de médecin et de directeur d’un hôpital en forêt vierge, aussi par celles que lui imposait sa célébrité, il a laissé des milliers de pages à l’état de manuscrit, n’étant pas parvenu à donner à ses textes une forme qui l’eût satisfait, prête pour l’édition, si grands étaient ses scrupules littéraires, si fortes ses exigences de qualité et de finition. En France et même en Alsace ( !), on ne sait pas bien – et l’on ne s’en soucie pas – que l’ampleur de ses œuvres posthumes, Werke aus dem Nachlass (10 Bände), qui ont été éditées patiemment en Allemagne chez C. H. Beck, München, entre 1995 et 2006, dépasse encore l’ampleur des écrits, pourtant nombreux, qu’il a publiés de son vivant. Cela fait dans les 8000 pages inédites en français, 8000 pages qui seraient à traduire.


Albert Schweitzer, écrivain méconnu, occulté, négligé, sous-estimé ? À l’occasion de cette année du centenaire, je saisis l’occasion qui m’est offerte pour donner quelques aperçus de la variété, de la prolixité et de l’originalité proprement littéraires de cet « auteur » alsacien qui s’est nourri de deux cultures et s’est exprimé dans les deux langues et même un peu en anglais, les circonstances l’y poussant, dans les universités d’Oxford et de Cambridge.

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Juin 2013 - N° 119




TRENTE ANS DÉJÀ

 Fondée au printemps 1983 par Auguste Wackenheim, la Revue Alsacienne de Littérature / Elsässische Literaturzeitschrift fête son trentième anniversaire. Au fil des années, la revue a évolué et trouvé sa place sur la scène de la vie culturelle ; tous ceux qui ont participé à cette aventure ont toujours eu le souci de rester fidèles à l’enjeu initial, dans le respect de l’esprit qui animait le Président fondateur. Dès le départ, il s’agissait de « défendre et d’illustrer » la spécificité régionale sous le signe d’une identité ouverte. Pour favoriser la rencontre des langues, notre revue à toujours tenu à publier des textes dans les trois expressions linguistiques, c’est-à-dire le français de même que la langue régionale dans sa double dimension, l’alsacien, et son correspondant historique, le haut-allemand, donc « la triphonie » pour reprendre les mots André Weckmann. D’emblée située aux antipodes de tout « repli identitaire » nombriliste, la Revue Alsacienne de Littérature œuvre pour un dialogue avec les langues dans un contexte européen.

À travers un bref rappel historique, nous invitons nos lecteurs à revenir sur quelques moments majeurs. Tout est parti de l’initiative d’Auguste Wackenheim qui, dès 1982, a su s’entourer d’universitaires, d’écrivains et de poètes pour faire vivre son projet d’une revue littéraire implantée à Strasbourg. L’ont rejoint alors notamment Lucien Baumann, Camille Claus, Adrien Finck, Fernand Schierer, Charles Gustave Stoskopf, Jean-Claude Walter et André Weckmann. La capacité du Président à fédérer les acteurs culturels, allait de pair avec un talent d’organisateur qui lui a permis de trouver les appuis matériels et financiers auprès du Crédit Mutuel et de la Region Alsace. La direction a été assurée par le Président fondateur jusqu’au numéro 56 (décembre 1996), puis pendant dix ans, de 1997 à 2008, par Adrien Finck. Les deux directeurs de la publication ont toujours veillé à maintenir une forte dimension de la présence patrimoniale mais aussi à témoigner de la richesse et diversité de la création littéraire en région et au-delà ; leur souci était d’œuvrer pour un échange transfrontalier et de favoriser les contacts avec des auteurs et des littératures dépassant largement notre région.

Pour le tournant du siècle, Adrien Finck a publié un éditorial (numéro 69) qui invitait à un regard rétrospectif sur un millénaire de vie culturelle, du Moyen-Âge prestigieux, ce que l’on nomme « l’âge d’or des Lettres en Alsace », jusqu’à la création contemporaine. C’est à cette occasion qu’il a cité un passage de l’éditorial d’Auguste Wackenheim intitulé Le vrai pari paru dans le numéro 6 (deuxième trimestre 1984) que nous republions intégralement dans le dossier PATRIMOINE. À l’occasion du vingtième anniversaire de la Revue Alsacienne de Littérature (numéro 83, troisième trimestre 2003), l’éditorial d’Adrien Finck avait déjà revisité l’historique de notre revue, tout en dégageant les orientations présentes et futures, en relevant notamment l’esprit d’ouverture et la médiation culturelle. Dans les Dernières Nouvelles d’Alsace, Emma Guntz a publié une contribution intitulée Rund um die Revue Alsacienne de Littérature : Zu ihrem zwanzigsten Geburtstag dont nous proposons un large extrait :

Als Auguste Wackenheim, der international bekannte Radiologe, der Autor von unzähligen wissenschaftlichen Veröffentlichungen, der begeisterte Sammler von gedruckten und gemalten Alsatica und von im Dialekt geschriebenen Texten, der Verfasser einer Untersuchung über Leo Schnug und einer Betrachtung über „Lachen und Lächeln im Elsaß“ (Rires et sourires en Alsace et ailleurs), der ironisch-satirische Reimschmied und Zeichner im Jahr 1982 davon sprach, eine elsässische Literaturzeitschrift ins Leben rufen zu wollen, traf er auf ungläubiges Kopfschütteln. Bei seinen Kollegen. Bei den Literaten. Bei den eventuellen Geldgebern. […] Was er sich nach langem Überlegen in den Kopf gesetzt hatte, das setzte der Herr Professor auch durch. Nachdem er sich die Mitarbeit literarisch Gleichgesinnter gesichert hatte, nahm er seinen Pilgerstab in die Hand und machte seine Runde, um das erste knappe Budget zu sichern. Da waren unter Anderen Camille Claus und Adrien Finck, Jean-Claude Walter, André Weckmann und Sylvie Reff. Auch Fernand Schierer und Lucien Baumann gehörten zu den ersten Musketieren, denen das Anliegen Auguste Wackenheims sinnvoll und einen Versuch wert erschien. Und da war und ist Marie-Thérèse Wackenheim, seine Weggefährtin und treue Begleiterin, die – wie Auguste Wackenheim in seiner Widmung zum ersten Band seiner vorbildlichen Anthologie der elsässischen Dialektliteratur schreibt – eben diese Dialektliteratur mitgeheiratet hat. […] Wie bei vielen, wie bei fast allen Literaturzeitschriften, hängt von der Zahl der Abonnenten und von den Abonnements der Bibliotheken und ähnlicher Strukturen das Überleben ab. Die RAL betreibt eine rege Politik der Öffnung, schaut über die Grenzen hinaus (Offenburger Literaturkreis, aktuelle Literatur aus Rheinland-Pfalz, afrikanische Poeten) und bietet regelmäßig Übersetzungen an. Das von Auguste Wackenheim gewünschte Gleichgewicht der sprachlichen Ausdrucksweisen hat sich – aus leider bekannten Gründen: die Nachfolge ist nicht gewährleistet – zu Ungunsten des Elsässerditsch verschoben. Doch die RAL lebt, ist lebendig. Auguste Wackenheim kann mit der Gegenwart und der Zukunft seines „Kindes“ zufrieden sein.

Comme le souligne Emma Guntz, l’équipe de la revue a toujours été animée par le souci d’une convivialité qui se traduit par des projets de coopération avec des groupes littéraires, comme le Offenburger Literaturkreis grâce à notre membre correspondant Karlheinz Kluge. C’est une même approche qui est à l’origine des numéros et dossiers thématiques : rappelons, à titre d’exemple, le numéro 13 (mars 1986) consacré à Jean Arp, pour le centième anniversaire de la naissance du poète et sculpteur alsacien, le numéro 85 (premier trimestre 2004) qui, sous le titre Literatur aus Rheinland-Pfalz, donnait la parole à des auteurs de cette région. Au cours des années, le Comité de rédaction s’est élargi et renouvelé avec Laurent Bayart, Jacques Goorma, Paul Schwartz et Anne-Marie Soulier, ce qui a favorisé les contacts avec différentes instances de la vie culturelle à Strasbourg, notamment les Bibliothèques-Médiathèques et l’association Ouï Lire.

En 2008, Adrien Finck a proposé à l’Assemblée Générale de notre association, Les Amis de la Revue Alsacienne de Littérature, de confier la présidence à Maryse Staiber, qui depuis de longues années faisait partie du bureau et assurait la Vice-Présidence et le Secrétariat Général. Plus récemment, Alain Fabre-Catalan et Patrick Werly sont venus rejoindre le Comité de rédaction.

Depuis 2011, le rythme de parution n’est plus trimestriel mais semestriel avec deux numéros doubles par an (144 ou 152 pages). Le format et la présentation ont été optimisés pour équilibrer au mieux le budget dans le contexte actuel, tout en maintenant la qualité de la présentation. Les rubriques instaurées depuis le numéro 113/114 permettent de concilier la part patrimoniale, le dossier thématique, les voix multiples, sans oublier les chroniques et les notes de lecture qui rendent compte de la vivacité des écritures dans leurs diversités linguistiques. Des thèmes aussi divers que enfances, villes, cheminements, masques ont été abordés. Et voici maintenant fêtes.

En 2012, un site internet dédié à la revue a été créé par Alain Fabre-Catalan qui en assure l’administration. Il s’agit essentiellement de rendre compte de l’actualité de la revue et d’informer toute personne qui souhaite contribuer à notre publication.

Cet anniversaire aussi pour nous l’occasion de remercier nos fidèles lecteurs et abonnés qui ont soutenu la revue durant tant d’années. Nous espérons continuer à cheminer encore longtemps ensemble dans ce même esprit d’ouverture et de partage.

Die 1983 von Auguste Wackenheim gegründete Revue Alsacienne de Littérature / Elsässische Literaturzeitschrift feiert dieses Jahr ihr dreißigjähriges Bestehen. Aus diesem Anlass steht die zentrale Thematik dieser Jubiläumsnummer unter dem Zeichen fêtes. Unsere Zeitschrift bleibt ein lebendiges Forum für die Aktualität literarischer Tätigkeit in zugleich regionaler und überregionaler Perspektive.

Maryse Staiber & Marie-Thérèse Wackenheim
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Décembre 2012 - N° 118


Camille Claus - 1949


André Weckmann


 Notre hommage est dédié à André Weckmann qui, dès la création de la Revue Alsacienne de Littérature par Auguste Wackenheim en septembre 1983, a fait partie des membres fondateurs. En ouverture de ces pages qui lui sont consacrées, nous souhaitons évoquer quelques moments marquants de son itinéraire et de son œuvre.

Originaire de Steinbourg, un village bas-rhinois, André Weckmann fait partie des Alsaciens nés dans l’entre-deux-guerres, durement touchés par l’histoire. Incorporé de force et envoyé sur le front russe, blessé il a déserté au cours d’une permission de convalescence. Après 1945, il a entrepris des études de germanistique à l’Université de Strasbourg et a été ensuite professeur d’allemand. Au cours de sa carrière, il s’est notamment engagé pour le développemebnt d’un enseignement spécifique de l’allemand aux dialectophones dans les collèges et lycées.

Dès les années soixante-dix, André Weckmann est apparu comme une figure de proue au sein du nouveau mouvement identitaire qui allait de pair avec la renaissance de la poésie dialectale. L’écrivain s’est fait connaître par des pièces radiophoniques et par sa participation à la Petite anthologie de la poésie alsacienne (Associarion Jean-Baptiste Weckerlin). Par l’ouverture à certains écrivains américains, au blues, au jazz, à une nouvelle génération d’écrivains de langue allemande, son écriture s’est d’emblée démarquée de la littérature dialectale traditionnelle.

Dans le contexte de Mai 68, s’est ouverte la période la plus intense de son engagement militant : participation aux manifestations anti-nucléaires des deux côtés du Rhin, écriture de textes qui, aujourd’hui encore, sont des « classiques » de la Protest-Mundart parus en 1975 dans schang d sunn schint schun lang (speak white, chinesisch, aliénation, rhingold). Cette inspiration s’est poursuivie au cours des décennies suivantes avec des recueils comme Fremdi Getter, bluddi hand. Parallèlement, Weckmann a publié en français Les nuits de Fastov ainsi que Fonse ou l’éducation alsacienne ; en allemand Geschichten aus Soranien, Die Fahrt nach Wyhl.

Au cours des années quatre-vingts, son œuvre s’est faite plus retenue, davantage intériorisée, voire distante, non sans désillusions, témoignant d’un travail d’écriture qui a abouti à des romans majeurs en français et en haut-allemand (Wie die Würfel Fallen, Odile oder das magische Dreieck, La Roue du paon). De plus en plus, son écriture va mêler les trois expressions linguistiques de notre région, ce que l’auteur qualifie de « triphonie ». La dimension militante est restée présente, mais – notamment grâce à l’interaction des trois langues – la composante ludique apparaît plus clairement. En témoignent des ouvrages comme elsassischi grammatik (1989), une « grammaire » poétique, un essai de « sonder » la langue, et Helena (1994), une mini-Iliade, parodique et pacifiste, où l’alsacien, le haut-allemend et le français se succèdent et se mélangent pour aboutir à une nouvelle langue imaginaire, entièrement libre qui dépasse les conflits linguistiques en Alsace.

Plus récemment ont paru en 2007 Laweslini, Liëweslini / Ligne de vie, ligne de cœur et, en 2011, Iss-Zit / Glaciation. André Weckmann a également participé à la transposition des textes liturgiques en alsacien pour les messes célébrées en alsacien et a publié à ce titre Elsassischi Liturgie (2004).

Son œuvre a souvent été distinguée par des prix littéraires dont notamment le Hebel-Preis (1976) dans l’espace alémanique, le Prix Mölle (1979) en Suède, le Jacob-Burckhardt-Preis (1986) en Suisse, la Carl-Zuckmayer-Medaille (1990) à Mayence, décernée conjointement à Adolf Muschg, Martin Walser et André Weckmann.

Dans un article publié dans les Dernières Nouvelles d’Alsace du 22 avril 1999, Antoine Wicker, journaliste connaisseur de la scène culturelle alsacienne, a pu noter : « Des repositionnements politiques et culturels affirmés par nos années soixante-dix, André Weckmann fut l’un des premiers inspirateurs. Une autorité, un repère, en des mobilisations intellectuelles et militantes que la fin de cette décennie-ci ressuscite parfois beaucoup plus naïvement. »

Maryse Staiber
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Juin 2012 - N° 117


Camille Claus - Triptyque, 1950-51.


Paul-Georges Koch

 À l’occasion du trentième anniversaire de la mort de Paul-Georges Koch (1908-1982), la Revue alsacienne de littérature propose à ses lecteurs une présentation de cette œuvre insuffisamment connue, suivie d’un choix de poèmes accompagné d’une traduction française réalisée par Jean-Christophe Meyer, petit-fils de l’auteur.


Alte Wege

Traumwandelnd ging ich seltsam alte Wege
auf meiner Kindheit fast getilgten Spur.
Verschwiegne Brücken lagen, morsche Stege,
im Wasser, dessen Wellen ich erfuhr.

Ich sah der Sonne glühend roten Ball
im späten Tag an Bergeszacken hängen.
Er war so jung wie einst – mir schien das All
erfüllt von Leere, dunklen Herbstgesängen.

Denn nie mehr halten wir einander Schritt:
Am Tag die Sonne, nächtens helle Sterne.
Ich wandle schon in greisenhafter Ferne,
wenn erst ihr Strahl durch Frühlingsblumen glitt!

                                                           Lebenstanz (1948)


Im Reich der Tiefe

Im Reich der Tiefe mir ein Ungetanes
und Ungesagtes wachen Traumes lebt,
das statt bewussten eignen Wahnes
die Früchte meines Lebens webt.

Im Reich der Tiefe liegt es still verborgen
und alles reife Wirken ist sein Werk.
Mein Lieb und Leid sind seine Sorgen –
Ich bin des Riesen nur ein Zwerg.

Im Reich der Tiefe wohnt es – nimmer zerre
du grausam es hervor an deinen Tag!
In meinem Herzen lebt es – nimmer sperre,
gebundnen Recken, es in deinen Hag!

                                                           Herbstgold (1980)


Chemins anciens

J’allais songeur par des chemins étranges anciens
sur la trace presque bannie de mon enfance.
Des ponts discrets, passerelles pourrissantes, gisaient
dans l’eau dont j’avais éprouvé les vagues.

J’ai vu rouge incandescent la balle du soleil, au jour
tardif, à la dentelure des montagnes crochée. Elle
était aussi jeune que jadis et l’espace me semblait
empli de vide, de sombres chants d’automne.

Car jamais plus nous n’irons du même pas :
le jour le soleil, les étoiles claires la nuit… Déjà
je chemine dans de sénescents lointains, quand ses rayons
tout juste caressent les fleurs du printemps !

                                                           La danse de la vie


Dans le royaume des profondeurs

Dans le royaume des profondeurs vivent
pour moi le non-fait et le non-dit d'un rêve éveillé ;
ils tissent les fruits de ma vie en lieu et place
de ma propre folie consciente.

Dans le royaume des profondeurs ils reposent
cachés, et toute action mûrie est leur œuvre.
Ils font leur affaire de mes joies et peines.
De ces géants, je ne suis qu'un nain.

Dans le royaume des profondeurs ils habitent –
cruel, jamais ne les en arrache à ton grand jour !
Ils vivent dans mon cœur, ces héros enchaînés –
jamais ne les enferme dans ton enceinte !

                                                           Les ors de l’automne
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Müder Abend

Wievielmal werd ich noch die Läden schließen,
zum späten Tagwerk mir das Licht entleihen
von dieser Lampe, die mich eifern sah –
um es zu löschen, wenn der Worte Mühsal
mir Nacht für Nacht die schweren Lider senkt?


Horch! hinterm Laden scheuert sich ein Zweig
am scharfen Mörtel dieser Mauer wund
und ächzt mit seltsam dünner Vogelstimme,
die nur zu Ohren eines Dichters dringt:
So mühst du dich und rufst – wer aber hört?


Fatigue au soir

Combien de fois vais-je encore fermer les volets,
emprunter pour une tardive veillée de travail
la lumière de cette lampe qui m’a vu œuvrer,
pour l’étouffer ensuite, quand le labour du verbe
nuit pour nuit doucement me clôt les paupières ?


Écoute ! Derrière le volet une ramille
se blesse au mortier tranchant de ce mur,
et gémit d’un étrange et léger trille d’oiseau,
qui ne sonne qu’aux oreilles d’un poète !
Ainsi tu te démènes et appelles – mais qui entend ?


Traduction parue dans Im Kreuzfeuer zweier Kulturen / Dans les feux croisés de deux cultures,
J. Do Bentzinger, Colmar, 2008.

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Décembre 2011 - N° 115/116


Camille Claus - Composition, 1949.


Les frères Matthis

 Les frères Albert et Adolphe Matthis apparaissent comme des figures tutélaires de la période allemande (1870-1918). Notre présentation s’inspire largement du chapitre Albert et Adolphe Matthis du tome 3 de l’Anthologie illustrée réalisée par Auguste Wackenheim, La littérature dialectale alsacienne, Prat Édition, 1997.


Adolphe Matthis


D’R KALENDERMANN

Jaenner

Dhuet d’r Jaenner Bodde sueche –
Draat d’r Schneemann üewwer d’ Gass
Fur de Baeck d’Dreykinniskueche,
Odder ’s druelt in ’s Räijefass.

Hornung

Wurd d’r Acker langsam hitzi,
Gaehl d’r Bissali im Klee,
Kummt d’r Maddisdaa noch spitzi,
Awwer druff kaan Kaelte meh.

Maerz

Wenn d’r Storik d’erschte Frosche
Üss de Schnookeloecher gumpt,
Hett d’r Winter d’ letschte Grosche
In sim Hossesack verlumpt.

Abrill

Zeij’sch bim Narremonet s’Haelmel –
D’erscht Wuch gitt de Güggück ’raa,
In d’r letschte baeschelt ’s Schwaelmel
d’Neschter in de Frauedaa.

Mai

Üewwer d’Maieblüemle schliche
D’Paerle geije d’ Gallematt, –
Koennt m’r d’Lieb uff ’s Brood aa schtriche
Waerd e man’cher Kneckes satt.

Jüni

Jüni, – d’Haiwöuij steht im Sterne, –
“Gawwle satt“ – wie Borzellin
Fahrt d’r Kinni vun de-n-Erne
D’Matteblueme s’ Dorf erin.

Jüli

Stecht im Jüli d’Sunn nit kritti
As d’r Kneecht de Schimmel schwemmt,
Macht ’s ganz Spootjohr nimmi zitti
Was d’r Augscht nimm uff sich nemmt.

Augscht

Schenkt de Rebblitt as d’r Morje
In de Schnaps e Dropfe Tau,
Lonn de Drïwelkocher sorje,
Fehlt noch ebbs ze bringt der ’s au.

September

Lonn de Bott im Bann üssklopfe
Im September sin Gebott :
„S’ Ried nüss, in de Hopfezopfe –
„In’s Gebirri hinder d’ Drott“.

Octower

„Walschburg“ nimmi lang bedenke,
D’ Wis-Schtang geije d’Aepfel nuff !
’S soll kaan Schtiel am Obsbaam henke
Macht „d’r Galle“ ’s Daaloch uff.

November

„Andrees“, fur de Waisze grin i,
Wenn din Kopf s’ wiss Kaebbel zaijt, –
Gfriert d’r Gaenswin am Martini,
Geht am Schteffe ’s Vieh uff d’Waid.

Dezember

„Claus“, drum loss di üewwerredde
As’s aa kalti Doobe gitt,
Kloorer Chrischtdaa, helli Mette, –
Wenn ’s nit wintert, summert ’s nit.

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Lina Ritter

 Nous nous souvenons que Lina Ritter, cette remarquable personnalité littéraire du Sundgau, était décédée il y a trente ans de cela. N’oublions pas non plus de rappeler que Nathan Katz – « la poésie faite homme » – nous avait quittés cette même année 1981. C’est à l’occasion de cet anniversaire que nous avons le plaisir de publier une présentation de l’auteur par Jean-Paul Gunsett ainsi qu’une traduction inédite de quelques-uns de ses haïkus.


Wer s’ganz Johr verninftig isch,
derf garn der Narr mache
an der Fasnacht.

Qui reste sage
toute l’année
peut bien être fou à Carnaval.

Dy Harz isch laar?
So cha unser Härgett
in alli Chammere izieh.

Ton cœur serait vide ?
Que de place alors
pour y accueillir ton Dieu.


Vor e me harzlige Lache
goht d’Himmelstire uf.
Schlupf ine!

Devant un beau rire franc
s'ouvre la porte du ciel.
Entre vite !

Mit saligem Singe
fange d’Veegel der Tag a.
Wie halte ’s denn mir?

Les oiseaux commencent la journée
par de joyeux chants.
Oui, mais nous ?


„Buschur, Herr April!“
chennt me zue mankem sage
wo nit weiß, was er will.

À qui ne sait ce qu’il veut
disons : « Bien le bonjour,
Monsieur Avril ! »

Manki lache aim üs,
wemme mit sym Engel
sundgauisch redet.

Plus d’un rit de nous
quand nous parlons avec notre ange
en sundgauvien.


Wenn ’s izrichte goht:
blib mankmol e Stund allai,
un bsinn di uf s’End.

Quand tu peux :
reste parfois seul une heure,
et médite sur la fin.

Nai, uf kai Fall
sag „Bonjour“ zue der „Tristesse“
gang lieber go tanze!

Ne dis en aucun cas
« Bonjour » à la « Tristesse » –
va plutôt au bal !


Der Odiliebarg
isch unser heiligst Land.
d’Heide han das scho gwisst…

Mont Sainte-Odile
notre lieu très saint.
Les païens déjà le savaient…

West un Ost
mit Haiku zsammez’binde
das unterstoht si my Harz.

Réunir Ouest et Est
par des haïkus,
c’est mon cœur qui l’a osé.

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Juin 2011 - N° 113/114


Jean Arp - Bois gravé, 1965.


Jean Arp


MOTS

Mots de merveilleuses promenades.
Mots en promenades.
Mots flocons.
Clairs mots de fleurs enfuies.
Mots de montagnes flottantes
ou si vous trouvez cela excessif
mots de montagnes de nuages.

°
Mots de vieux vieux chemins de fer
toussotés à travers leur panier à salade.

°
Mots de pêcheurs
déballant un envoi
de langues d‘anges.

°
Mots flocons rêveurs.

°
Inespérés des mots s‘épanouissent un à un
avec de clairs visages de fleurs.

°
Mots parfums aux sombres étincelles.
Astres noirs gravitant sans un mot.
Mots faux qui flairent des mots justes
et tressaillent.
Mots trop poupins.
Mots fleuris de fleurs trop poupines.
Mots sources castaliennes.2
Superbes mots catachrèses.

°
Mots embaumés.
Mots dits par des biches
pendant le triste pas de l'oie.

°
Vous verrez des anges
sous forme de roses et d‘étoiles lumineuses
traverser légers la lumière infinie.
Qui oserait s‘en approcher
avec nos bonbonnières atomiques
ces inventions insensées du progrès.
Sans bruit comme toujours
les anges flottent dans la lumière.
Depuis toujours ils étaient là.
Mais nous c‘est dans la fange
que nous avons baigné notre visage.

°
Mots d‘anges pour des anges.

°
Mots de la bouche au gouffre.
Mots pour pêcher en eaux troubles.
Jeux de mots répondant
à de sombres desseins diaboliques.

°
Mots ruisseaux.
Mots taillés dans l‘écorce des arbres.

°
Une corbeille de mots soignée à l‘excès.
Des mots de pirates montent jusqu‘au ciel
en grimpant sur les barreaux d‘éclairs figés.


(Extrait de Worte publié pour la première fois dans la revue Hortulus à Saint Gall, en février 1961 et repris dans Gesammelte Gedichte III, Arche, Zurich, 1984.)

Traduction française : Aimée Bleikasten

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Adrien Finck


LANGUE DE PLAISIR

Elle n‘était pas la langue de l‘école. Je ne l‘ai pas apprise, elle me fut donnée comme la vie, langue de l‘enfance et du pays. Elle est infaillible en moi, je suis infaillible en elle.
Arrachée à l‘oubli, à l‘interdit, reconquise sur le mépris, la honte : la voici qui revient, intraduisible, totalement inutile, libre.
Elle n‘est pas ma langue de travail, du discours de chaque jour. Le père du principe de réalité me permettra ce petit jeu : elle est ma langue de plaisir.
Alors jouons de cette langue. Qu‘elle soit la langue de notre poésie.


LUSTSPRACHE

Sie war nicht die Sprache der Schule. Ich habe sie nicht gelernt, sie wurde mir gegeben wie das Leben, Sprache der Kindheit und des Landes. Sie ist unfehlbar in mir, ich bin unfehlbar in ihr.
Dem Vergessen, dem Verbot entrissen, der Verachtung, dem Schamgefühl wieder abgerungen, kommt sie nun wieder zurück, unübersetzbar, ganz und gar unnütz, frei.
Sie ist nicht meine Sprache der Arbeit, des täglichen Umgangs. Der Vater des Realitätsprinzips wird mir dieses kleine Spiel erlauben: Sie ist meine Lustsprache.
Spielen wir also mit dieser Sprache. Sie sei die Sprache unserer Poesie.

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GEBATT ÀSS M‘R LÀWANDIG BLIWA

Ischnüfa
vom Blàia in d‘r Luft
‘s Heiliggeischtiga
ischnüfa
vom Tài uf d‘r Arda
‘s Heiligfrischa
vo da Furcha im Fald
‘s Heiligwàrma
ischnüfa
vo Maia un Màtta
s‘s Heiligduftiga
vom Hunigsàft
‘s Heiliggluschtiga
ischnüfa
vo Rawa un Ahra
‘s Heiligschwara
vom Schwalmalafliaga
‘s Heiliglichta
ischnüfa
vo Hard un Hüs
‘s Heiligheimliga
vo Wind un Wachsel
‘s Heiligfremda
ischnüfa
vom ewiga Wàsser
‘s Heiligvergangliga
üsschnüfa
àlles widder z‘ruckga
dànkbàr

Extrait de Langue de Plaisir, Éditions de l‘Encrier, 1987.

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André Weckmann


BABBA SCHOTT

Unterm Apfelbaum

Er sitzt auf einer Bank unter einem alten Apfelbaum, dessen Geäst ausladend bis zum Boden reicht. Im Sommer, sagt er, sieht es wie eine grüne Kuppel aus, deren Inneres aus einem faserigen borkigen Geflecht besteht, im Winter eher wie ein schwarzes Haarnetz, das über ein sonderbares Gewirr gelegt ist. Und da ist nur dieser schmale Eingang mit den langen Strähnen, durch den Sie mich eben gefunden haben. Setzen Sie sich doch zu mir.

Den Baum habe ich selber gepflanzt, sagt er. Wir sind miteinander sehr alt geworden. Vielleicht halten wir beide es noch eine Zeitlang aus. Sie sind auch nicht mehr der Jüngste, nicht?
Ich nicke.
Er lächelt.

Tief unter dem Baum liegt eine Bombe aus dem Krieg, sagt er nach einer Weile. Ich sah den amerikanischen Jagdbomber im Tiefflug über das Dorf torkeln, ich sah die dicke Bombe in unser Ried fallen. Sie explodierte nicht. Der Bomber stürzte einige Kilometer weiter brennend ab. Ich ging herüber und besah mir das Loch: es war mit Grundwasser halb aufgefüllt. Der Pionierfeldwebel lachte mich aus, denn das Suchgerät zeigte nichts an: Ihre Bombe steckt jetzt sicher im Magma! Ich hab sie aber gesehen, die Bombe, und das Loch war vorher nicht da. Als ich Jahre nach dem Krieg versuchte, das Wasser auszuschöpfen, sah ich in der Lochwand eine schwarze Steinspitze. Ich zog sie heraus, es war Basalt und hatte die Form eines Faustkeils aus der Steinzeit. Sein Benutzer muss auch irgendwo hier unten liegen, wahrscheinlich im Torf momifiziert, sagte ich mir und warf den Faustkeil in den Schlamm: Da, nimm deine Waffe zurück, Urururpapa, kannst sie zukünftigen Archäologen vorzeigen! Aber warn sie vor der Bombe! Dann legte ich in der halbversumpften Parzelle ein Entwässerungssystem an, schaufelte das Loch zu und pflanzte diesen Apfelbaum drauf. So wachen wir beide jetzt über zwei Zeugen der menschlichen Kriegswut, die hier eine Zeitspanne von zwanzigtausend Jahren umfasst. Sie glauben mir doch, oder?


Ich nicke.
Er schüttelt den Kopf.

Nein, Sie ahnen nicht, dass ich hier über einer Zeitbombe sitze, die bestimmt mal explodieren wird, ein kleines Erdbeben würde genügen. Kulturelle Erdbebenchen, die kennen wir hier. Meistens merkt man sie nicht einmal. Und so ist mein Land für mich nach und nach zu einer "verloreni Heimet", einer "lost country" geworden. Die Desintegration ist im Gang. Und Klio, die Muse der Geschichte, wird in ihre Annalen die Schlussbestandsaufnahme eintragen: Nach einem vollen Jahrtausend hat die Postmoderne ihr Sosein und Dasein auf der Webseite der Geschichte gelöscht. Ja.
Er nickt.
Ich schüttle den Kopf.

Sie haben recht, den Kopf zu schütteln, sagt er. Denn meine Fantasie treibt manchmal wunderliche Blüten. Wissen Sie, es gibt auch immer wieder Erdbebenchen – lächeln Sie ruhig über das Diminutiv! –, die zurechtrücken, was das vorherige zerrüttet hatte. Und Klio weiß auch manchmal mit leichtem Fingerstupf ins Geschehen einzugreifen.
Er steht auf, schiebt seine grüne Wollmütze ins Genick, schmunzelt wie ein gewiefter Märchenerzähler zu seinem naiven Zuhörer und sagt:
Wir sehen uns wieder, gelle, Monsieur?
Wir nicken uns lachend zu.

Sara Doumé

Der Brief kam gestern an, handgeschrieben und zweisprachig: elegant und klar scheint mir der französische Schriftzug zu sein, leichtfüßig und blumig der deutsche. Professor, das sind doch Klischees! sag ich mir. Hat sie diese Doktorandin Sara Doumé wie viele kultivierte Franzosen gewohnheitsmäßig in sich aufgenommen: hier elegante Klarheit, dort Romantik? Oder ist es einfach der Fluss der verschiedenen sprachlichen Schriftzüge, der mich hier in die Irre führt? Ihr Deutsch ist auf jeden Fall sehr korrekt, was mich wunderte, denn weist ihr Name Doumé nicht auf eine afrikanische Herkunft hin?

Sie habe von mir gehört. Ich solle mich sehr für dieses Land Elsass interessieren. Was von mir darüber veröffentlicht worden sei? Ob der Monsieur le Professeur vielleicht Zeit habe, sie zu einem Gespräch zu empfangen? Sie schreibe an einer Doktorarbeit über Identitätsprobleme in den europäischen Grenzgebieten. Ihr Doktorvater lehre Deutsche Literatur in Paris. Sie sei durch Zufall auf meine Spur gestoßen, dies durch einen sonderbaren Alten, der sich Babba Schott nennt und, unter einem Apfelbaum sitzend, "lebendige" Märchen erzählt. Ob ich mir einen Auszug aus der Aufzeichnung ihres Dialogs mit dem Alten anhören wolle?

Was es nicht alles gibt!, sag ich mir: Wer hat diese Pariser Doktorandin zu diesem schrulligen Babba Schott geführt? Wer oder was hat mich selber hingeführt?

Da sitzt sie nun mir gegenüber, diese Sara Doumé. Senegalbraun, senegalschlank, das blauschwarze Haar zu Dreadlocks geflechtet, Pariser Schick, aber ohne Chichis.
Ja, ich bin Senegalesin, sagt sie. Nun fragen Sie sich, warum ich mich für die deutsche Sprache und Literatur interessiere, ich hab sogar ein paar Jahre in Freiburg studiert:
Meine Urgroßmutter mütterlicherseits stammte aus Togo, das, wie Sie wissen, bis 1918 deutsche Kolonie war. Sie wurde als Vollwaise von einem Schweizer Pastorenehepaar großgezogen und verliebte sich so intensiv in die deutsche Sprache, dass diese Liebe in ihrer Nachkommenschaft zur Tradition wurde. An den Weihnachtsabenden, zum Beispiel, sogar als wir schon in Paris lebten, haben Mama und wir Kinder stets "Stille Nacht" gesungen, was meinen Papa nervte! Sie lächeln?

Ja, als Student in Edinburgh wurde ich mal am Heiligabend gebeten, zwei alten Damen aus Togo dieses deutsche "carol" vorzusingen, und sie haben tiefgerührt mitgesummt...
Aber kommen wir nun zu diesem Babba Schott. Haben Sie ihn becirct?
Lachen Sie nicht, ich war ganz in seinen Bann geraten. Er drückte sich zuerst in Französisch, dann in Deutsch aus, und dies, als wäre er ein "native speaker" in beiden Sprachen. Und wenn er manchmal ins Elsässische hineingeriet, so klang die Aussprache wie flaumleichte Musik, also nicht so breit und hart wie man es bei seinen Landsleuten hört. Ich sagte mir, das hätte eine Sprache für einen griechischen Rhapsoden sein können. Sie lachen schon wieder!
Pardon, sag ich, es war nur ein Lächeln. Aber eine Doktorandin sollte eigentlich nicht... Ach was, das universitäre Sezieren überlasse man den Dozenten! Vergessen Sie für heute den Doktorvater und fahren Sie ruhig weiter, Sara.

Sein undefinierbares Lächeln, war es leise Ironie, gepaart mit einer inneren Heiterkeit, dann das intensive Blau seines Blicks... ich bin ansonsten keine Schwärmerin, aber ich muss es gestehen: es fesselte mich. Ich dachte dabei an einen senegalesischen Griot, der unter dem Lebensbaum sitzend, die Fabel seines Landes erzählt...
Ich kenne bereits einen Teil dieser Fabel, Sara. Ich bin nun gespannt auf den zweiten Teil.
Sie schaltet das Diktafon ein.


Der Rhapsode

Jeden Abend kommt uns eine leichte Ostbrise. Hörst du sie im Schilf, das meinen Baum umgürtet? Es ist, als streichelten Jazzbesen das Fell der Trommel. Spürst du, wie sie mit deinen Dreadlocks spielt, sie um den Finger wickelt? Du bist fremdartig schön, wie meine Salomé es war, als sie noch unter uns weilte.
Da denke ich an diese Griechin, die mich eines Morgens besuchte. Schön war auch sie, aber auf eine andere Art, denn sie kam aus einer anderen Zeit. Sie saß in meinem Baum und biss in einen Apfel, dann reichte sie ihn mir, sprach Evoé! und verschwand. War es eine Göttin? Nein, eher eine Muse.
Ich tippte auf Thalia, die Komödie, dann auf Melpomene, die Tragödie. Aber was hier passiert, ist es nicht eine Tragikomödie, also undefinierbar? Das konnte also nur Klio gewesen sein, die neutrale Muse der Geschichte. Ich biss in Klios Apfel: Er schmeckte wie Nektar.
Hör mein Gedicht zum Apfel:
Hàssi d waschpel / womi stecht / pàssi in d hànd / womi brecht / liëwi d zung / woni vergeh?

– Er bricht einen Apfel und reicht ihn mir. Er zergeht auf der Zunge, honigsüß, wie Nektar... –

Maidel, kennst du meine Geschichte? Vor Jahrtausenden kamen wir aus dem Osten hierher, der Sonne nach und vom Wind getragen: War es die Bise, war es die Brise, mal diese, mal jene? Wir vermischten uns mit den Ansässigen. Bis dann schubweise andere zu uns kamen, mal von Westen, mal von Osten, mit denen wir uns vermischten, sodass aus uns dieses sonderbare Volk wurde, das sich Elsässer nennt.
Dabei hat aber das Schicksal eine schwere Hand auf uns gelegt, das gewordene Dasein ermüdet und das Hoffen auf das Werdende gelähmt.
Hör mein Gedicht dazu:
Die àlte daj verfülle / wie morschi baim / àm hüs verbreckle d sülle: / gebrocheni traim

Die Jazzbesen streicheln immer noch die Trommel, die Erlen dort drüben wiegen sich in leichtem Hüfttanz und die Brise spielt mit deinen Dreadlocks.
Da weht sie mir einen verwirrenden Tagtraum zu: Was wär, wenn diesmal nach Osten und Westen, dem Klimawandel folgend, nun der Süden zu uns käme und uns eine letzte Vermischung anböte? Während ich dich so betrachte, sag ich mir, das wäre vielleicht die verlockendste, die geglückteste aller unserer Vermischungen. Würdet ihr aber unsere Eigenart bereichern oder sie auslöschen? Das ist die Frage. Doch, unter uns gesagt: Ich würde deine Dreadlocks unserer elsässischen Trachtenhaube vorziehen!
Was meint meine schwarze Klio dazu? Und was wird dein Doktorvater denken: Der ist nicht bei Troste! Bei uns sagt man: Der hat ebs am Schwimmer!
So, ich geh jetzt für meine Salomé ein Sträußel pflücken, Herbstzeitlosen, die letzte blühende Zartheit vor der kalten Zeit.
Und hör zum Abschied mein Gedicht für sie:
Lisi bris / wallezwis / se traat wit furt / wàs kummt un wàs wurd / so rischelt alles verbii / nurre s liëwe saat: ich blii

– Er lächelt versonnen und steht auf. Ich sag mit gebrochener Stimme: Merci, cher papa Schott!, küsse ihn flüchtig auf die Stirn und eile weg. Als ich mich nochmals umdrehe, sehe ich seine grüne Wollmütze zwischen den blaugrauen Schilfbärten verschwinden... –

(Hass ich die Wespe / die mich sticht / pass ich in die Hand / die mich bricht / lieb ich die Zunge / auf der ich zergeh? – Die alten Tage verfaulen / wie morsche Bäume / am Haus zerbröckeln die Säulen: / zerbrochene Träume – Leise Brise / wellenweise / sie trägt weit fort / was kommt und was wird / so räuschelt alles vorbei / nur die Liebe sagt: ich bleib)

in Malve und Herbstzeitlose  Erzählungen, 2010.

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