lundi 1 juillet 2019

RAL n°131


1er semestre 2019
FRONTIÈRES

Le mot frontière ne peut renier son origine militaire. On faisait frontière pour combattre et se défendre. Qu’elles soient géographiques, politiques, linguistiques ou culturelles, les frontières ne sont-elles pas à l’origine des conflits entre les hommes ? Combien de sang versé, combien de guerres pour gagner ou défendre des frontières ? Mais, comme la frontière a deux côtés, ce terme est ambigu. La frontière est objet de conquête ou garantie de paix. Elle peut être cause d’affrontement et nourrir les hostilités ou préserver les conditions de bonne entente permettant à chaque communauté d’assurer son identité. Elle peut nous figer dans nos certitudes ou nous préserver des excès et de la transgression de l’hubris.

Qu’elles soient naturelles comme les montagnes, les déserts, les mers, les fleuves et les rivières ou artificielles, comme les murs, les barrières, les clôtures, les frontières désignent tout ce qui fait obstacle, tout ce qui sépare. Mais ce vocable recouvre bien d’autres formes de limites et de délimitations pas toujours aussi nettes que les frontières d’un pays. Il est des seuils intangibles et des frontières translucides.

Où est la frontière entre le rêve et le réel, entre le jour et la nuit, le visible et l’invisible, le palpable et l’impalpable, le dedans et le dehors, le fini et l’infini, entre la parole et le silence ? Il s’agit moins alors de ce qui sépare deux côtés que de ce qui se trouve entre eux.

Les frontières entre les sens qui nous permettent d’appréhender le monde ne sont pas plus étanches comme l’attestent les synesthésies mises en lumière par d’innombrables auteurs. « Toute littérature est assaut contre la frontière », écrit Kafka.

Repousser les frontières du savoir, dépasser les idées reçues, traquer les secrets de la matière et de l’esprit… n’est-ce pas là la beauté et la noblesse de l’aventure humaine ? La limite suppose encore un illimité. Comme le ciel et le silence, comme le sourire et les larmes, l’art n’est-il pas sans frontière ?

Jacques Goorma